La taverne des rôlistes

Réflexion et analyse critique sur le JdR en général et sur des JdR particuliers

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Personnages sans historiques et amnésie

(Cet article fait suite à Labyrinth : jouer une perso amnésique)

L’historique est peut-être l’une des phases les plus importantes de la création d’un personnage. En effet, comme nous l’avons exposé dans l’article Du joueur au personnage : un gouffre ou pas ?, l’historique apporte beaucoup au personnage. Il décrit les événements survenus avant le début de la chronique, des événements qu’on ne va pas jouer durant les sessions de jeu de rôle. Ces événements justifient les caractéristiques et compétences du personnage, expliquent les manies, habitudes et motivations de celui-ci. On trouve également dans l’historique les informations que possède le personnage vis-à-vis de l’univers dans lequel il évolue, son appréhension du monde. On comprend donc aisément le lien étroit entre l’historique et l’interprétation du personnage par le joueur. Et si un historique dense facilite l’interprétation d’un personnage, c’est bien parce qu’il restreint les possibilités de réaction de ce dernier face à toutes sortes de situations, contraignant par la même occasion l’interprétation faite par le joueur.
A l’opposé de l’historique complet, se trouve l’absence pure et simple d’historique. L’absence d’historique signifie l’absence des contraintes présentées ci-dessus. Le joueur est donc plus libre pour interpréter son personnage. Totalement libre ? Pas tout à fait. D’abord, subsistent les contraintes de l’univers de jeu. Dans le Monde des Ténèbres par exemple (univers de jeu contemporain en beaucoup plus sombre), un joueur ne pourra pas interpréter un personnage comme il le ferait dans le jeu TOONS. Ensuite, il reste toujours les contraintes liées aux caractéristiques du personnage : masculin ou féminin, jeune ou vieux, fort ou faible intelligent ou imbécile… Tous ces éléments sont censés contraindre l’interprétation. Enfin, il reste les stéréotypes. Ces réactions formatées permettent des interprétations faciles du personnage sans historique. En effet, peu importe l’histoire du personnage, si celui-ci rencontre une personne au regard mauvais et armée jusqu’aux dents, il aura tendance à avoir la même réaction de fuite ou au moins de méfiance vis-à-vis de cette personne peu avenante. Le personnage sans historique sera probablement plus sujet à ces stéréotypes que le personnage dont les réactions ont été anticipées dans l’historique.
Il existe cependant un cas particulier d'historique : l'amnésique. Un personnage amnésique n'est pas un personnage sans historique, c'est un personnage dont l'historique n'est pas encore écrit, ce qui est très différent. Le plus souvent, on se représente l'amnésique comme quelqu'un qui, après avoir reçu un coup sur la tête, oubli tout son passé. Ce tableau n'est pas éloigné de la réalité, mais il n'est que très partiel. Sans trop entrer dans les détails, il existe deux principales grandes formes d'amnésies : l'amnésie rétrograde qui empêche la récupération des souvenirs postérieurs à l'apparition de la pathologie, et l'amnésie antérograde qui empêche le stockage à long terme de nouvelles informations. Cette distinction est juste mais un peu caricaturale car un patient peut être atteint des deux en même temps et ce, souvent avec d'autres troubles cognitifs associés.
L'image de Panoramix qui reçoit un coup de menhir sur la tête (voir "le coup du menhir") et qui oublie son identité correspondrait donc à une amnésie rétrograde due à un trauma crânien. En dehors de Panoramix, on trouve dans les oeuvre de fiction un certain nombre d'amnésiques. La bande-dessinée "XIII" met en scène un jeune homme ne se souvenant plus de son passé, mais poursuivi par des tueurs. Celui-ci se rend rapidement compte qu'il est lui même un expert dans le maniement des armes. En restant dans la BD, on peut citer Wolverine (X-MEN). C'est à la suite d'une opération chirurgicale particulièrement éprouvante qu'il aurait perdu les souvenirs d'avant l'opération (encore une amnésie rétrograde). Pour être précis, l'opération consistait à lui injecter du métal en fusion sur toute la surface de son squelette. Son pouvoir d'autoguérison quasi-instantané explique qu'il ait pu survivre à une telle opération. On ne sait pas très bien si sont amnésie est due au traumatisme psychologique de l'opération ou bien au fait que le métal en fusion recouvrant son crâne a du littéralement lui cramer le cerveau.
Du côté des amnésies antérogrades, les héros de fictions sont loin de se bousculer au portillon. Le film "Memento" met en scène un homme touché par ce type de trouble. C'est un choc violent derrière la tête qui est l'origine de son amnésie, il ne peut plus rien mémoriser et passe son temps à noter des choses, il va même se faire tatouer les informations les plus importantes pour lui. Les histoires d'amnésie antérogrades sont moins fréquentes sans doute parce qu'elle sont moins fécondes en terme d'aventure. Memento est un excellent film, mais d'une manière générale, il est difficile d'écrire un scénario dans lequel le héros ne mémorise rien du déroulement de l'histoire. De plus, j'imagine que ce déficit évoque les démence associées à la vieillesse (dont la plus célèbre, Alzheimer), ce qui n'est pas très glamour non plus. A l'inverse, l'amnésie rétrograde est scénaristiquement très féconde. Cela conduit directement au thème de l'individu qui explore avec surprise son propre passé (souvent très louche d'ailleurs). Un joueur de JDR qui incarnera un personnage amnésique sera plus ou moins contraint de suivre le schéma classique de l'amnésique de fiction : il est à la recherche de son identité.

Fabien & Sylvain
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