Dans cet article, je vais me concentrer sur les questions suivantes : Peut-on dire que l’univers de White Wolf est stéréotypé ? Si oui (ce que je vais m’efforcer de montrer), qu’elles en sont alors les conséquences sur le jeu, l’aventure et le plaisir de jouer ?
Menons tout d’abord un simple examen superficiel du Background des différents JDR qui constituent l’univers du Monde des Ténèbres. Pour commencer considérons la création des personnages. Dans chaque JDR du Monde des Ténèbres, le joueur a le choix entre différentes tribus (LG), différents clans, différentes voies… Dans Loup-garou L’Apocalypse, il y a bien 13 tribus chacune différente les unes des autres. Différentes par le nom (ça va de soi), par l’origine géographique (les Arpenteurs silencieux viennent d’Egypte alors que les Fiannas sont originaires d’Irlande), l’apparence (au tout début que je jouais à Loup-Garou nous choisissions nos personnages en partie grâce aux images présentant les 13 tribus), et surtout par la philosophie dominante qui permet l’identification de la tribu par rapport aux autres, ainsi les Griffes Rouges auraient une légère tendance à éradiquer l’espèce humaine porteuse de la souillure du Ver sur la surface du Royaume de Gaïa, tandis-ce que les Marcheurs sur Verre ont choisi de s’intégrer aux humains de la manière la plus efficace qui soit pour combattre le Ver de l’intérieur (enfin c’est ce qu’ils disent). Le choix de la tribu est donc porteur de sens. Pour le joueur, ce choix représente une mentalité, des attitudes, autrement dit un type de personnage particulier. Jouer un Rongeur d'os signifie alors incarner un clochard ou un quelconque marginal plus ou moins repoussant, jouer un Crocs d’Argent implique de créer un personnage qui sera d’une façon ou d’une autre un leader… Dans la fiction, ou de façon plus générale, pour le MJ, ce choix entraîne une correspondance avec une vision du monde et une place dans celui-ci que le personnage porte en lui à la base et vers laquelle il devra se positionner par la suite (l’accepter ou la remettre en cause). C’est-à-dire que le choix de la tribu implique un certain background pour le personnage, et inversement que la création d’un background particulier implique de jouer un personnage d’une tribu correspondante. Prenons l’exemple de Hunter The Reckoning dont le système est au fond équivalent, s’il ne s’agit pas de tribus, les joueurs choisissent une philosophie. Dans ce JDR, les conseils du Livre de Base poussent le MJ à faire créer aux joueurs des humains normaux avec des backgrounds relativement fouillés afin d’éviter que les joueurs n’orientent leurs personnages en fonction des pouvoirs et des différentes doctrines de Hunter, et ainsi que la première rencontre avec le surnaturel soit la plus spontanée possible et révèle l’attitude que les personnages vont choisir face au danger. Cette attitude sera représentative d’une doctrine que le MJ indiquera aux joueurs. Nous voyons bien à travers ces exemples l’aller et retour qui se fait entre le background et les différentes « familles » auxquelles peuvent appartenir les joueurs. Jouer un loup-garou ça n’est pas possible, il faut jouer un Wendigo, un Seigneur de l’Ombre ou Enfant de Gaïa, il faut que le personnage soit identifié ne serait-ce que pour pouvoir finir de remplir la feuille de personnage : les dons, la volonté, les attributs, les capacités, l’historique…
Comment ces stéréotypes prennent-ils formes dans la fiction (scénario + background) ? Dans Loup-Garou, c’est un lien de parenté, génétique qui explique l’appartenance du personnage à telle ou telle tribu et à telle ou telle lignée (homidé, lupus ou métis), et c’est la phase de la lune qui indique l’auspice. Les loups-garous se reproduisent dans des milieux sociaux qui leur sont propre et participent alors de manière relativement stable à la pérennité de leur tribu, et par là même à la répétition des types sociaux, et dans une certaine mesure des caractères, des membres de leur tribu. Dans Vampire, le personnage descend d’un clan parce qu’un vampire de génération plus faible (c’est-à-dire plus puissante) a choisi de vampiriser le personnage alors qu’il était humain. On explique le plus souvent ce choix par le fait que le personnage humain possédait certaines dispositions pour devenir un membre du clan auquel appartient le vampire plus ancien. Notons également que la descendance des vampires de la Camarilla est largement régulée par le Prince dont la cour est organisée autour des différents clans, chacun d’eux ayant une fonction particulière, le Prince autorise un vampire à créer un infant et approuve, ainsi que les membres du clan du vampire concerné, le choix de l’infant. On constate dès lors le déterminisme social et individuel (c’est-à-dire le caractère en général du personnage) présent dans les jeux de rôle du Monde des Ténèbres. Donc, la cohérence du personnage tient en particulier à l’établissement de ses origines « parentales » (dans le sens le plus large du terme évidemment) et sera par nature stéréotypée.
Les personnages sont donc étiquetés et identifiés, a priori (c’est-à-dire avant même qu’ils aient affirmé leur personnalité dans le jeu), au regard de leur appartenance, ce qui se traduit souvent par une apparence (repensons au clochard Rongeurs d’Os) ou une philosophie de vie. On peut donc parler librement de stéréotype. Mais attention tout de même, le JDR ne se résume pas à une dimension horizontale, comme un rayon de supermarché où on choisit ses chips, avec une énumération de familles d’appartenance. Le JDR manie le stéréotype dans sa dimension la plus complexe et la plus alambiquée. On a vu, dans Loup-Garou, qu’on trouve à l’intérieur des stéréotypes propres aux tribus, clans… d’autres stéréotypes : les auspices par exemple, qui permettent d’affiner le premier niveau. Là encore nous pouvons affirmer que cet autre niveau est aussi rigide que le précédent et implique une correspondance nette avec le background d’une part et l’attitude générale du personnage d’autre part. A ce niveau, l’Ahroun est le guerrier de la meute, le Théurge en est le spécialiste de l’Umbra et le Philodox le médiateur. Encore une fois, la catégorie à laquelle appartient le personnage est essentielle pour la création du personnage puisqu’elle donne le niveau de rage initial du personnage et la phase de la lune qui lui sera affiliée (utile à savoir pour l’utilisation de la rage également), ce qui explique « spirituellement » sa place dans la société garou. De même, à un autre niveau encore, la feuille de personnage des personnages du Monde des Ténèbres, comporte deux emplacements : Nature / Attitude, permettent aux joueurs d’inscrire deux mots capables de résumer la nature profonde du personnage, ce qu’il est au-dedans, ce qui jaillit de lui dans les situations les plus extrêmes, et son attitude, c’est-à-dire ce qu’il fait paraître au quotidien. Il va sans dire que résumer ces deux dimensions en deux mots (les livres de règles livrent des listes de concepts permettant de « styliser » les personnages, de leur donner le petit plus qui leur donnera leur consistance pendant les roleplay) est très limitatif, peu représentatif de ce que deviendra le personnage pendant la partie et de toute la complexité qui en découlera. Mais on ne peut résumer le joueur à son personnage, et par conséquent on ne peut résumer le personnage à quelques mots car cela reviendrait à nier son incarnation par le joueur, qui y apporte consciemment ou non une complexité non fictive propre à sa [au joueur] personnalité réelle et qui dépasse le cadre étriqué du système de jeu. Le JDR ne peut se vanter de posséder des règles qui seraient des systèmes exacts de simulation de la réalité (par exemple les jets de dés sont basés sur des statistiques plus ou moins moyennes) et ne peut alors que saisir quelques fragments, quelques facettes ou quelques accents d’un personnage fictif, et par extension, quelques aspects d’un univers fictif, car toute la cosmologie est régie par ces principes ; mais le JDR le fait à de multiples niveaux pour donner l’illusion de complétude et de finitude à la fiction.
Et c’est en pleine conscience de cette illusion que nous jouons au JDR. Du point de vue du MJ (celui qui sait tout) l’univers simulé est finit, il en connaît (ou cherche à le connaître) les origines, les tenants et es aboutissants. Il n’y a ni le mystère du Big Bang, ni de théorie hasardeuse portée par une religion quelconque. Alors de la même façon que l’origine du personnage conduit à un type de personnage particulier, toutes les manifestations (tous les évènements et tous les personnages) mises en scène dans la fiction puisent leurs origines dans une force singulière clairement identifiée qui leur insuffle une conduite et une raison d’être. Le Ver aura une filiation, le Tisserand et le Sauvage également, et toutes les créatures de l’univers appartiennent donc à une de ces entités, et portent en elles la marque de cette entité. Les créatures sont donc identifiables a priori comme émanant d’une de ces forces créatrices ; une race (de même qu’une tribu ou qu’un clan) correspond alors en général à une philosophie, à une place dans le monde. Le stéréotype est donc signifiant dans l’univers de JDR.
On peut alors dire que ces deux caractéristiques : le stéréotypage de l’univers et des créatures d’une part et, la finitude du monde d’autre part, sont nécessaires à l’univers du Monde des Ténèbres pour qu’il soit concevable, pour qu’il puisse fonctionner. Elles donnent le squelette de la fiction, elles nous sont apprises par les livres de JDR, elles sont ce qui peut être systématisé et articulé. Elles apportent la cohérence systémique de la fiction, c’est-à-dire que ces deux caractéristiques assurent l’insertion des personnages dans un univers fictif et leur incarnation par des joueurs. La simplification de la réalité que nous avons décrit et qui parfois peut paraître très limitative est donc nécessaire pour le jeu et se comble par ce qui fait la force du jeu de rôle : le contage. C’est cette dimension orale qui apporte de la chair et de la couleur à la fiction, par exemple pendant ces moments privilégiés que sont les roleplay, où le personnage – stéréotypé - se teinte des paroles et des attitudes – complexes - du joueur. Pour conclure cet article, je pense que nous pouvons affirmer que le stéréotypage du monde et des personnages permet paradoxalement la richesse du monde de la fiction dans ce qu’il a de complexe, ce grâce à l’entrelacement infini des différents niveaux de fiction stéréotypés.
Nicolas
1 commentaires:
Je trouve cette analyse extrêmement réductrice. Certes, la base de tout jdr est stéréotypée, mais un jdr est avant tout ce que les joueurs en font. Un rongeur d'os est aussi stéréotypé que son joueur le désire. Et il ne l'est pas foncièrement plus qu'un voleur DDesque.
Cela dit, l'aspect "stéréotype" d'un jdr est inévitable. L'ensembles des règles, histoires et tout ce qui fait notre monde nécessite une telle connaissance que je doute que qui que ce soit puisse les réunir. Du coup, décrire avec autant de précisions un monde imaginaire est proche de l'impossible.
Bref, autant le travail d'un MJ est de rendre son monde le plus vivant possible, autant celui d'un joueur est de rendre son personnage aussi "réaliste" et profond qu'il le veut/peut. Dans ce cas la, le cote archetype d'un clan ou d'une classe est la base de cette personnalité. Ou, au contraire, un carcan a combattre (tel un Gangrel social, un Fils de Fenris ouvert d'esprit ou un barbare qui recherche la connaissance)...
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