Comme nous l’évoquons dans l’article « Le Roleplay », pour signifier les paroles du personnage, il est possible pour le joueur de passer par l’interprétation (il parle par la bouche du personnage) ou par la description (il décrit le propos du personnage). Notons qu’il ne s’agit en réalité pas d’une dichotomie tranchée, mais plutôt d’un continuum allant de l’interprétation complète (intonations comprises) jusqu’à la description complète. Ainsi, un joueur qui prononce la phrase que dit son personnage mais qui décrit ensuite l’intonation de la voix se situe quelque part entre les deux extrêmes (exemple : « Mon perso dit : nous ne pouvons pas vous aider. Il a beaucoup de tristesse dans la voix »)
Dans le JDR, les paroles d’un personnage peuvent avoir des conséquences sur le déroulement de l’histoire : elles peuvent bien entendu être informatives, mais elles peuvent aussi être intimidantes ou encore manipulatrices. Il y a une question qui se pose donc régulièrement : « est-ce que ce que ce perso vient de dire a convaincu/intimidé/charmé le PNJ qui lui fait face ? ». Selon la manière dont le propos se situe sur le continuum description/interprétation, la réponse à cette question passe par des chemins de résolution différents. Plus on se situe du côté de la description, et plus la question risque d’être majoritairement réglée par un ou plusieurs jets de dés. En clair, le joueur en limitant son interprétation limite l’intervention de son propre charisme dans l’action, ce qui oblige à se tourner vers le charisme du personnage. A l’inverse, une interprétation poussée pourra être plus ou moins convaincante et pourra servir à déterminer l’issue de l’action sans forcément passer par des jets de dés. Quel que soit la manière dont on se place sur le continuum, il y a un sacrifice à faire. Plus on se rapproche du bout « description » et plus on sacrifie de roleplay. A l’inverse, plus on se rapproche du bout « interprétation » et plus on accepte la confusion irréaliste entre les compétences oratoires du joueur et celles du personnage.
Existe-t-il un compromis optimal différent en fonction des styles des joueurs décris par le modèle tripartite (simulationnistes, narrativistes et ludistes) ? Les narrativistes se définissent par leur intérêt pour l’histoire plutôt que pour le jeu. C’est l’histoire qui doit être intéressante et dramatique. Ainsi, cette catégorie devrait logiquement chercher à donner un maximum de place aux interventions des personnages normalement conçus pour être de bons personnages de fiction. Cette volonté conduit à privilégier la description par rapport à l’interprétation puisque c’est comme cela que l’on peut le mieux laisser s’exprimer le personnage. Les simulationnistes recherchent quant à eux la cohérence interne de l’univers fictif. Ce principe pousse aussi vers la description car c’est bien là que se trouve la voie du réalisme et du respect du background. Enfin, les ludistes se placent plutôt dans l’optique d’une sorte de jeu de stratégie élaboré dans lequel des obstacles se présentent à lui (résoudre les énigmes, affronter les ennemis…) et son objectif principal est de les surmonter dans le cadre de l’univers de jeu que constituent le background et les règles. Là encore, la tendance naturelle du ludiste devrait être de privilégier la description par rapport à l’interprétation parce que le fonctionnement de l’approche descriptive est de s’appuyer sur les caractéristiques du personnage. Le seul cas qui conduirait naturellement une sensibilité ludiste vers l’interprétation plutôt que vers la description serait la triche (utiliser des compétences oratoires personnelles supérieures à celles du personnage). Ce cas étant particulier, nous le laissons de côté.
Selon ce raisonnement, tout le monde devrait tendre vers la description des propos plutôt que leur interprétation. Pourtant, on constate de manière flagrante que ça n’est pas le cas. Les rôlistes semblent généralement se positionner quelque part sur l’axe, mais sans privilégier particulièrement la description. Je crois que c’est principalement parce que l’interprétation est une composante très importante, peut-être même indispensable au plaisir dans les JDR pour beaucoup de joueurs. D’une certaine manière, les systèmes de jeux ne sont que des moyens de permettre des interprétations libres (dans le sens où il n’y a pas de script) de personnages par des joueurs. Le positionnement sur l’axe description / interprétation ne serait pas vraiment une question de choix ou de goût, mais principalement de compromis. Nous cherchons à interpréter les personnages, c’est en partie pour cela que nous faisons du JDR et donc nous interprétons quand c’est possible. En même temps, nous souhaitons conserver selon notre profil un minimum de réalisme, d’équilibre ou encore de tension dramatique et pour cela, il est parfois préférable de sacrifier un peu d’interprétation au profit de la description, notamment lorsqu’il y a un fort décalage entre le personnage et son joueur.
Sylvain
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