La taverne des rôlistes

Réflexion et analyse critique sur le JdR en général et sur des JdR particuliers

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Jeux de rôles et Catharsis


Sur le jeu de rôle comme sur les films, la musique ou les jeux vidéos violent, on entend régulièrement deux discours à priori logiques mais pourtant contraires et superficiels. Le premier consiste à dire qu'en pratiquant des activités au contenu violent, on devient violent nous-même (nous avons déjà abordé cet idée du transfert de violence du jeu vers l'individu, voir "l'idéologie dans les JDR" et "les stéréotypes dans le bg de white wolf"). Le second discours, à l'inverse, consiste à dire que pratiquer une activité au contenu violent permettrait d'extérioriser sa propre violence, conduisant donc à moins de violence dans la vie. Ce second discours renvoie en fait à ce que l'on appelle l'effet catharsis. L'objectif du présent article est d'examiner cette question de la catharsis dans les jeux de rôles.


guerrier nain du chaosL'effet catharsis ne fait pas seulement référence à la violence mais à l'ensemble des comportements peu adaptés à la vie en société qui peuvent être corrigés grâce à la mise en situation de ces comportements dans un cadre fictif. Initialement, ce phénomène fut remarqué au théâtre. Pour expliquer la catharsis, prenons l'exemple évoqué dans "Théâtre de la spontanéité" de J. L. Moreno. Il s'agit d'une jeune femme mariée et qui se comporte vis à vis de son mari avec une violence verbale incroyable et surtout absurde. Lorsqu'elle se met au théâtre, elle incarne alors différents rôles, dont parfois des rôles de personnages violents. En incarnant un personnage, elle a une distance qui lui permet de se rendre compte que la violence exercée par ce personnage est disproportionnée et injuste. Plus tard, quand elle se retrouve de nouveau dans une situation dans laquelle elle s'apprête à agresser son mari, elle repense à une scène qu'elle a joué et qui ressemble beaucoup à la situation et elle se rend compte que son comportement est disproportionné et injuste. 

Le processus décrit ci-dessus est absolument conscient. L'individu prend conscience de l'absurdité de son comportement parce qu'il a réussi à prendre de la distance par rapport à ce comportement. Il y a deux conditions importantes dans la catharsis : 
- l'individu "incarne" le personnage
- l'individu se voit proposer le script
Bien entendu, en tentant de transposer ce phénomène issue du théâtres à d'autres média, nous perdons l'une ou l'autre de ces caractéristiques. Par exemple, en regardant un film, l'individu n'incarne pas de personnage mais il se voit proposer un script (ça n'est pas lui qui dirige le personnage). 

Dans le cas du jeu de rôle, c'est l'inverse. D'abords, on incarne le personnage d'une manière plus ou moins comparable au théâtre ou en tout cas supérieur au films et aux jeux vidéos. On est donc dans une situation favorable au catharsis dans le cas ou le joueur aurait à incarner une situation proche des situations de sa vraie vie. En revanche, dans les jeux de rôles et contrairement au théâtre, le script n'est pas écrit. Autrement dit, le rôliste peut très bien ne jamais faire adopter à son personnage des comportements absurdes équivalents à ses propres comportements. Il est même possible que les rôlistes évitent justement de le faire. 

Néanmoins, notons que l'existence de la catharsis dans le JDR ne constitue pas un argument réel contre les détracteurs du jeu de rôle. La catharsis n'est pas un effet général ou une tendance qui signifierait que "en moyenne sur une population donnée, les rôlistes sont moins violents grâce à la catharsis qu'ils trouvent dans le JDR". La catharsis au contraire est un phénomène individuel et qui n'a de sens qu'à ce titre. Il signifie que "parmi une population de rôlistes, certains (probablement rares) vont devenir moins violent grâce à la catharsis qu'ils trouvent dans le JDR". Ce point est très vraisemblable, mais il ne signifie pas par exemple que parmi cette population, il n'y en a pas plus encore qui vont devenir plus violent à cause de la nature violente des JDR. D'ailleurs, l'argument de la catharsis ne convainc pas un détracteur du jdr car il repose sur l'idée selon laquelle jouer des scènes violentes ou immorales serait potentiellement positif, ce qui est contradictoire avec le fait que ce sont ces mêmes scènes qui sont susceptibles de créer des problèmes (voir idéologie dans les jdr). La même cause (jouer des scènes violentes) pourrait donc avoir deux effets opposés en fonction de certains critères précis. Les critères rendant une scène violente "dangereuse" sont définie par Matelly comme étant l'anomie (non respect des règles et de l'autorité) et le réalisme. La catharsis quant a elle ne peut survenir que si la scène jouée correspond à une scène future de la vraie vie du joueur. Une scène violente peut générer soit de la violence future, soit de la catharsis, soit rien du tout (le plus souvent, c'est sans doute rien du tout). La violence future peut être crée que si les critères de Matelly sont réunis, donc quand ils ne le sont pas, soit il ne se passe rien en dehors du plaisir de jeu, soit on a quelque chose de positif, la catharsis.

Sylvain
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