Comme cela a été plusieurs fois évoqué dans les articles de PTBPTG et comme chacun peut le constater, les récits de parties de JDR font souvent d'assez mauvais romans. J'entends par là que si vous rédigez l'histoire de vos parties, il est probable que cela n'intéresse pas grand monde. Il y a plusieurs raisons à cela. Premièrement, ce qui fait qu'une partie est chouette à jouer (c'est normalement ce que vise le MJ) n'est pas la même chose que ce qui fait qu'une histoire est chouette à lire. Deuxièmement, il faut se rendre à l'évidence, écrire une bonne histoire ne consiste pas simplement à décrire ce qui s'est passé mais nécessite un minimum de talent. Il faut la raconter d'une manière prenante. Ainsi, il semble très difficile de recycler les histoires que nous jouons pour en faire des oeuvres écrites, mais cela ne veut pas dire qu'écrire ces histoires est inutile et je vais tenter de vous en convaincre.
Un carnet de bord pour Kult
Lorsque je mastérisais Kult, il y avait à notre table une joueuse qui, lorsqu'il y avait des temps morts pour elle (pendant que les autres joueurs décrivent leurs actions...), dessinait les scènes en cours et les personnages rencontrés. Par ailleurs, j'incitais les joueurs à prendre beaucoup de notes car j'orientais mes campagnes vers de plus en plus d'énigmes qui nécessitaient de collecter des informations sur plusieurs séances. Progressivement et devant les difficultés récurrentes à se remémorer les éléments importants d'une séance sur l'autre à partir de plusieurs prises de notes sporadiques, les joueurs décidèrent d'eux-même de faire à la fin de chaque partie un compte-rendu unique et relativement complet. Il s'agissait de décrire tout ce qui s'était passé comme une histoire cohérente, sur une à trois pages au maximum. De là et toujours sans intervention de ma part, non seulement les compte-rendus ont été mis bout à bout, regroupés dans le bon ordre pour constituer le récit de la campagne qui s'allongeait, mais en plus, les dessins de la joueuse se sont intégrés dans ceux-ci, illustrant chaque scène et chaque personnage rencontré. Spontanément, un journal de bord illustré de la campagne était né. Soyons clairs, cette campagne est terminée depuis plusieurs années, j'ai encore ce journal de bord dans un de mes placard et je prends plaisir à le feuilleter de temps à autre, mais il n'intéresserait vraisemblablement pas quelqu'un qui n'aurait pas participé à ces séances. En revanche pendant les parties, il avait pris un rôle central. Ce document ce trouvait systématiquement posé sur la table de jeu et était consulté lorsque les joueurs cherchaient une information ou pendant des temps mort pour relire des scènes jugées drôles ou intéressantes. Ce journal avait donc plusieurs rôles. Il servait d'archive d'informations utiles pour les joueurs et de distraction "positive" (puisque pertinente) pendant les parties. Il y a une troisième fonction qui me parait très présente aussi : une fonction d'harmonisation de l'espace imaginaire commun et cela de plusieurs manières.
Fixe les événements
Fixe les événements
Les événements passés subissent habituellement les assauts de l'oubli et leurs remémoration passe par des déformations. Souvent, tout le monde n'est pas d'accord sur le déroulement des événements passé ou leur chronologie. Le carnet de bord contient toutes ces informations. En s'y référant, les joueurs accèdent à l'information fiable qui fera consensus. Bien entendu, certaines choses sont interprétables et seront comprises légèrement différemment selon les joueurs, mais d'une manière générale, le carnet de bord permet à tout le monde d'avoir la même vision du passé.
Convergence des représentations
Convergence des représentations
Concernant spécifiquement les dessins des personnages (PJ et PNJ), il est clairs que cela va faire converger les représentations des joueurs. Tout le monde s'accorde sur la vision des personnages tels qu'ils sont dessinés et cette représentation est donc mieux partagée qu'en l'absence de dessin. Cette homogénéisation de l'espace imaginaire commun passe par des détails très concrets. Par exemple, pour un personnage barbu, chacun voit clairement s'il s'agit d'une barbe fournie, longue ou plutôt "de trois jours", ce qui est très différent mais pas forcément différencié dans une description orale. Mais cela va aussi plus loin. Je m'étais aperçu en voyant le carnet de bord de Kult que les joueurs se représentaient certains PNJ très différemment de ce que je pensais avoir décrit. Le cas le plus évident était celui d'un vampire que je visualisais totalement chauve alors que dans le carnet de bord, il avait de long cheveux noires.
Les personnage gagnent en relief
Je crois qu'il existe quelque chose de mieux encore qu'un portrait pour les personnages : plusieurs portraits. Tout comme plusieurs photos d'un même objet prises en changeant légèrement de point de vue peuvent donner une vision en 3D de cet objet, plusieurs dessins d'un personnage à travers les scènes et donc dans des postures différentes crée une impression de réalité et de familiarité. J'ajoute que cette impression de familiarité, ce relief, favorise à mon avis largement l'entrée des personnages dans la mythologie du groupe. De plus, le style des récits mais surtout le style des dessins donne, s'il est régulier, un ton à la campagne. Les lecteurs de comics comprendront facilement ce à quoi je fais référence. En effet, une série Marvel donnée par exemple ne sera pas toujours dessinée par la même personne. Chaque dessinateur met sa patte sur les album qu'il dessine et un même personnage peut prendre des allures très différentes. Ce changement a des répercutions sur l'ambiance de l'histoire qui, sans rien changer au scénario peut sans problème passer du sombre et réaliste à de l'héroïsme édulcoré. Dans le cas du carnet de bord illustré, la présence des dessins dessinés de la même main participe à poser une ambiance de la même manière. Des dessins très cartoon ne créeront pas la même impression que des illustrations réalistes tout comme un récit classique au narrateur "externe" est très différent d'un récit dans lequel c'est un des PJ qui raconte l'aventure.
Mise en pratique
Évidemment, il n'est pas difficile de convaincre les joueurs de réaliser un carnet de bord écrit. Par exemple, chacun à son tour, un des joueurs doit rédiger rapidement l'histoire qui vient d'être jouée. Cela demande assez peu de temps et se fait pendant que les autres joueurs rangent les paquets de chips entamés et nettoient les traces de bières sur la table (ou quoi que ce soit d'autre mais il est peu probable que les joueurs s'en aillent tous dans la minute qui suit la fin de la partie...). En revanche, tout le monde n'a pas la chance d'avoir une personne maîtrisant suffisamment le crayon pour illustrer aisément et rapidement n'importe quelle scène. Pourtant, le carnet de bord non illustré est lui aussi bourré de qualités. En fait, on retrouve même l'ensemble des qualités du carnet de bord illustré (archive d'informations, distraction positive, convergence des représentations, mise en relief des personnages), mais certaines de ces qualités sont moins présentes. Pourtant, pour les longues campagnes, le carnet de bord (illustré ou non) constitue un atout considérablement utile. Et puis lorsque vous retombez dessus par hasard plusieurs années plus tard, le relire et redécouvrir les histoires jouées par le passé est particulièrement grisant.
Sylvain
Image réalisée grâce à Stripgenerator |
2 commentaires:
hey! de tous les interets de la chose cité, que je ne vois quand a moi que comme un agréable bonus aux parties (et c'est déjà pas mal,) ce que je retiens est la dimension "mémoire du groupe".
Comme tu l'as dis, au fur et à mesure des années il est agréable pour tous groupes de roliste se retrouvant de (re)partager ces passionantes nuits de délires créatifs oniriques rolistico ludique. Mais la mémoire est un miroir déformant bien imparfait et ce type de support peut effectivement aider à rappeler les faits dans leur "exactitude". Après, il s'agit avant tout de faits contés, dans le cadre d'une activitée créative pour laquelle la notion "art éphémère de groupe" prend tout son sens. Du coup je me dis que l'exactitude des faits, importe in fine beaucoup moins que l'écart des perceptions discutés que la patine du temps vient sublimer. C'est à mon sens l'une des magies du jdr que de devoir reposer essentiellement sur le dit des joueurs. Art oral avant tout ou la parole reprend sa valeur ancestral que notre société civilisée, pleine d'écrits, de chiffres et d'image est venu amoindrir. Peut être un ersatz de cet élément central des sociétés, il y a peu encore, ou les légendes racontés au coin du feu donnaient pour les populations supersticieuse et peu éduquées, un sens à l'histoire des communautés que la religion aurait bien voulu pouvoir récupérer... mais là encore une fois, je disrgresse peut etre encore un peu trop... sorry so ^^
J'adore ce blog :)
Je suis assez d'accord avec Parleur sur le fait que "l'exactitude des faits, importe in fine beaucoup moins que l'écart des perceptions discutés que la patine du temps vient sublimer". Finalement, ce qui importe est la cohérence.
En tant que meneur, c'est Rêve de Dragon qui a eu un effet "justificateur" là dessus, pour moi, avec ce qu'on appelle "le gris rêve", dont la meilleure description est "ce dont on se souvient au réveil". Dans un jeu qui se veut une métaphore du jeu de rôle, où on joue vraiment une représentation d'un univers imaginaire, la réalité n'a pas besoin d'être figée et ce n'est que le souvenir qui importe. Finalement, même avec du Star Wars ou du Loup Garou, mes joueurs on pris l'habitude d'occulter les zones d'ombres de nos souvenirs par "ok, c'est une "espère de gris rêve".
C'est un peu comme une réalité quantique qui n'existe que parce qu'elle est déterminée par chacun ;)
Par contre, j'ai pris beaucoup de notes en temps que joueur. Plus prosaïquement, ça m'a beaucoup servi quand je les ai relues bien plus tard.
Quand je prends ce genre de notes en cours de partie, je tente de les formater telles que le personnage joueur le ferait.
Si je joue un personnage fou qui perçoit le monde de manière totalement décalée, je décris les choses de manière décalée.
En gros, un carnet de notes à la première personne. C'est bien plus marrant à lire, amha, et je trouve que ça stimule encore plus la mémoire quand on tente de se remémorer une partie.
Fenris.
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