Les jeux de rôles mettent souvent en scène des personnages exceptionnels, ou des personnages ordinaires dans des situations extraordinaires. Il s'agit véritablement d'un point commun que les jeux de rôles partagent notamment avec le cinéma.
Sarah Hollings dans son article intitulé "J'aurais voulu être un héros" souligne que nous pouvons très bien nous passer de descriptions des contraintes basiques de la vie quotidienne :
"Nous sommes en pleine Fantasy – nous n’avons pas à nous brosser les dents, personne ne va aux toilettes, et nous n’avons pas à faire quelque chose de façon banale si nous pouvons le faire avec éclat et panache, bravoure et dramaturgie."
"Nous sommes en pleine Fantasy – nous n’avons pas à nous brosser les dents, personne ne va aux toilettes, et nous n’avons pas à faire quelque chose de façon banale si nous pouvons le faire avec éclat et panache, bravoure et dramaturgie."
Ce point est valable aussi bien pour le cinéma que pour le jeu de rôle et en même temps, le cinéma comme le jeu de rôle peut aussi très bien choisir d'intégrer des éléments de la vie quotidienne, par exemple pour donner une touche de réalisme. Les contraintes narratives concernant ces deux médias semblent donc assez proches sous bien des aspects.
Pourtant, il y a une différence centrale qui empêche de pousser la comparaison plus loin : les règles. Au cinéma, les scènes sont crée entièrement, c'est-à-dire que si nous voulons valoriser tel personnage en le faisant faire une action incroyablement héroïque et risquée, nous le pouvons. Dans un JDR, une action risquée est réellement risquée pour le personnage du fait que les jets de dés seront probablement en sa défaveur.
Si Indiana Jones est capable au cinéma de se glisser au dernier moment sous la porte du temple qui est en train de s'abaisser, dans un jeu de rôle, il risque sérieusement de se faire écrabouiller et il est donc plus sage de ne pas prendre de risque et de chercher plutôt une autre sortie. De ce point de vue, les jeux de rôles sont plus proches de la réalité que ne le sont les films car dans la réalité aussi, les événements improbables arrivent par définition moins souvent que les événements probables.
Quelque part, cette caractéristique du jeu de rôle peut-être vécue comme une limitation. En effet, le joueur peut imaginer son personnage comme étant très stylé et donnant l'impression d'être infaillible, mais rien ne l'empêchera d'être ridicule s'il rate une acrobatie (c'est-à-dire un jet de dés). Pour combler ce problème, on pourrait jouer sur les caractéristiques. On se dirait alors qu'en fait, Indiana Jones n'avais pas une faible probabilité de passer sous la porte, la situation était difficile mais il est lui-même très habile, ce qui expliquerait sa réussite. Il suffirait donc dans un jeu de rôle de gonfler un peu les personnages et le tour serait joué ?
En fait, ça ne réglerait pas vraiment la question. Steve Darlington dans son texte "osez être stupide" traite de ce sujet en considérant que les actions qu'il appelle "stupides" (celles qui ont une faible probabilité de réussite) peuvent être réalisées dans les films mais difficilement dans les jeux de rôles et il le déplore. Il donne l'exemple de Star Wars avec Han Solo :
“Votre tauntaun tombera avant que vous n’atteignez le premier poste”
“Alors on se reverra en enfer!”
Cela ne vous aura pas échappé : Han Solo survit aux trois épisodes... Il est clair que le cinéma est truffé d'actions suicidaires qui se soldent par de franches réussites alors que le jeu de rôle reposant sur un système simulant les probabilités d'évènements peut envoyer de grosses claques de réalités aux personnages manquant de prudence. Certains jeux de rôles ont tenté de combler cet écart. Darlington cite deux exemples de jeux dans lesquels "être cool" a un impact positif sur les résultats : Wushu et TINS. Il cite ces deux exemples comme des exceptions et la méthode ("être cool") comme le seul critère utilisé. Je pense qu'il se trompe. En réalité, de nombreux jeux de rôles ont mis en place des systèmes pour lutter contre le réalisme "anti-héroïque".
Pourtant, il y a une différence centrale qui empêche de pousser la comparaison plus loin : les règles. Au cinéma, les scènes sont crée entièrement, c'est-à-dire que si nous voulons valoriser tel personnage en le faisant faire une action incroyablement héroïque et risquée, nous le pouvons. Dans un JDR, une action risquée est réellement risquée pour le personnage du fait que les jets de dés seront probablement en sa défaveur.
Si Indiana Jones est capable au cinéma de se glisser au dernier moment sous la porte du temple qui est en train de s'abaisser, dans un jeu de rôle, il risque sérieusement de se faire écrabouiller et il est donc plus sage de ne pas prendre de risque et de chercher plutôt une autre sortie. De ce point de vue, les jeux de rôles sont plus proches de la réalité que ne le sont les films car dans la réalité aussi, les événements improbables arrivent par définition moins souvent que les événements probables.
Quelque part, cette caractéristique du jeu de rôle peut-être vécue comme une limitation. En effet, le joueur peut imaginer son personnage comme étant très stylé et donnant l'impression d'être infaillible, mais rien ne l'empêchera d'être ridicule s'il rate une acrobatie (c'est-à-dire un jet de dés). Pour combler ce problème, on pourrait jouer sur les caractéristiques. On se dirait alors qu'en fait, Indiana Jones n'avais pas une faible probabilité de passer sous la porte, la situation était difficile mais il est lui-même très habile, ce qui expliquerait sa réussite. Il suffirait donc dans un jeu de rôle de gonfler un peu les personnages et le tour serait joué ?
En fait, ça ne réglerait pas vraiment la question. Steve Darlington dans son texte "osez être stupide" traite de ce sujet en considérant que les actions qu'il appelle "stupides" (celles qui ont une faible probabilité de réussite) peuvent être réalisées dans les films mais difficilement dans les jeux de rôles et il le déplore. Il donne l'exemple de Star Wars avec Han Solo :
“Votre tauntaun tombera avant que vous n’atteignez le premier poste”
“Alors on se reverra en enfer!”
Cela ne vous aura pas échappé : Han Solo survit aux trois épisodes... Il est clair que le cinéma est truffé d'actions suicidaires qui se soldent par de franches réussites alors que le jeu de rôle reposant sur un système simulant les probabilités d'évènements peut envoyer de grosses claques de réalités aux personnages manquant de prudence. Certains jeux de rôles ont tenté de combler cet écart. Darlington cite deux exemples de jeux dans lesquels "être cool" a un impact positif sur les résultats : Wushu et TINS. Il cite ces deux exemples comme des exceptions et la méthode ("être cool") comme le seul critère utilisé. Je pense qu'il se trompe. En réalité, de nombreux jeux de rôles ont mis en place des systèmes pour lutter contre le réalisme "anti-héroïque".
On trouve par exemple dans cette optique les points de destin dans Warhammer JDR. L'idée des points de destins est que les personnages sont des héros, des individus aux destins extraordinaires. Si Darth Vador avait fait une chute mortelle dans les escaliers en descendant chercher son casque à la cave (Cf. Image ci-dessus), il n'aurait jamais affronté Luke dans le duel épique que nous connaissons et ne lui aurait donc jamais révélé qu'il était son père. De même, pourrions nous imaginer Frodon le hobbit mourant d'une pneumonie foudroyante (il voyage pieds nus sous la pluie...) avant d'avoir pu sauver le monde des ténèbres qui vont s'abattre sur lui ? Avec le fonctionnement des points de destin, Vador pourrait se rattraper sur ces pieds au dernier moment et Frodon parviendrait à guérir. On peut donc empêcher les morts qui ne sont pas tragiques comme doit l'être la mort d'un héros. On trouve d'ailleurs un système relativement similaire dans les JDR Torg, Agone ou encore Dark Heresy. Darlington donnait l'exemple d'un personnage qui dans une course poursuite en voiture, décide de monter sur le toit du véhicule à pleine vitesse pour canarder les poursuivant. Cette attitude est stupide, cool, héroïque et très risquée. Seulement s'il se tue en tombant de la voiture, il ne s'agit pas pour autant d'une mort héroïque (on retiendra surtout le côté stupide) et c'est bien dans ce genre de cas que les points de destins peuvent intervenir, favorisant ainsi les prises de risques. Dans cette optique, on trouve aussi dans le jeu Metal Adventures (jeu se définissant explicitement comme mettant l'accent sur l'héroïsme) des points de panache permettant de réaliser des actions extraordinaires.
On trouve un système tout à fait différent dans l'ensemble des jeux de rôles du monde des ténèbres : les points de volonté. Ici, on part de l'idée selon laquelle Indiana Jones et Han Solo s'en sortent non pas parce qu'ils sont cool, mais parce qu'ils ont la niaque, la volonté de réussir, que ce soit à cause de la justesse de leur cause ou de leur instinct de survie. Grace aux points de volonté, il est possible pour les joueurs d'écraser un peu les différences de probabilités entre des actions simples et banales et des actions difficiles et héroïques dans la mesure où ils auront tendance à utiliser leurs points de volonté dans les cas ou l'action envisagée est difficile et importante.
Dans le jeu de rôle Feng Shui, l'incitation à l'héroïsme prend plusieurs formes. Tout d'abord, le background incite explicitement à l'héroïsme, je cite :
"C'est un univers où armé d'un cure dents, vous pouvez affronter un monstre surnaturel de trois mètres de haut ou une machine futuriste et avoir une chance de gagner."
Ou encore:
"Dans le monde de Feng Shui, il n'est pas idiot de s'accrocher au plancher de la Maserati du méchant tandis qu'elle dévale en pleine nuit et dans de grands crissements de pneus les rues de Hong Kong."
Ils expliquent qu'il ne faut pas avoir peur des clichés cinématographiques et au contraire, s'en inspirer. Cela implique donc une prise de risque importante qui nécessite un aménagement de règles. Ainsi, tous les personnages possèdent, dès la création des capacités hors du commun. Un dernier point de règle existe pour faciliter l'héroïsme : les dés de chances. Concrètement, pour chaque action unique, le personnage peut choisir de dépenser un point de chance pour lancer un dé supplémentaire à additionner à son total pour l'action. De cette manière, nos héros surpassent plus aisément les difficultés liées à leur métier.
Contrairement à Darlington, je ne pense pas que les jeux de rôles brident tant que cela l'héroïsme des personnages. Bien entendu, la vie de héros de jeu de rôle reste plus difficile et risquée que la vie de héros de cinéma car le JDR garde une part d'aléas. Mais en même temps, le JDR permet largement plus d'héroïsme que la réalité. Sans même prendre en compte le fait qu'on a généralement moins peur pour son personnage que pour sa vie, la réalité n'a pas d'aménagement de règles favorisant les actions héroïques ou stupides, on ne peut pas dépenser un point de destin quand on meurt de façon bête. Lorsque les choses vont mal, on ne peut pas dépenser de points de volonté pour devenir plus résistant ou plus intelligent (du moins on ne peut pas le faire volontairement et stratégiquement). L'héroïsme est donc dans une certaine mesure possible dans le jeu de rôle, surtout si le MJ le favorise, mais l'héroïsme n'est pas forcément recherché par tous. On peut apprécier les ambiances anxiogènes, le fait de sentir qu'on incarne des personnages faibles par rapport aux forces infernales que l'on croise (je pense par exemple à Kult). On peut aimer voir de temps en temps le personnage beau-fort-intelligent se prendre les pieds dans le tapis et passer pour un demeuré. On peut penser, aussi, qu'une action ne peut être qualifiée d'héroïque que si elle implique une vraie prise de risque, ce qui amène le joueur lui-même à douter, au même titre que son personnage. Alors, l'action héroïque devient plus rare, mais peut-être plus mémorable.
Sylvain
5 commentaires:
Je vais tenter d'avancer d'un millimètre à partir des éléments que tu donnes :
Tu parles de la part d'aléa qu'il y a dans l'action et un peu plus haut du Docteur Jones qui est une brute en agilité et passes sous les portes de temples antiques en guise d'apéritif, en terme de jeu de rôle, ses caractéristiques réduisent l'aléa.
J'ai bien envie de rajouter que pour arriver au risque lié à l'action héroique, il faut compter - suivant l'univers/le système/le personnage - que nous avons une vulnérabilité.
Exemple ? Indiana risque bel et bien de se faire écrabouiller par la porte, humain moyen il est très vulnérable, mais son aléa est très faible.
Au contraire Superman s'il fait face à des armes antichar à tir rapide (son aléa est très fort) ne risque pas grand chose (seul la kryptonite peut l'entamer, ne me demandez pas pourquoi) car il n'a pratiquement pas du vulnérabilité.
Finalement, nous pouvons encore compter l'enjeu, qui est souvent la vie du héros. Cependant dans de rares cas celle-ci peut être comptée comme ayant moins de valeur, poussant le héros à - justement - l'héroïsme. Exemple ? Nous parlions du tueur nain la semaine passée.
Au final nous pouvons résumer l'héroïsme à l'équation
Risque = Aléa * Vulnérabilité * Enjeu.
Je n'invente pas l'eau tiède c'est la base de toute analyse de risque, mais bon, l'appliquer au rôlisme et au cinéma...
MJ
Je suis totalement d'accords avec ça.
Merci pour cette contribution qui est un véritable prolongement à l'article, un "paragraphe" supplémentaire.
Oh je t'en prie, c'est un plaisir.
Je fais de mon mieux pour être un lecteur intéressé et intéressant^^
Un point important aussi, que tu évoques sans aller dans les détails, c'est l'importance du Meujeu et du jeu dans lequel prend place "l'action héroïque".
Je m'explique, dans un D&D les personnages sont des "aventuriers" hors normes et donc enclins à réussir des actions sensationnelles, du type évasion a la dernière seconde ou équivalent. C'est normal ; c'est le jeu. En outre, le Meujeu pourrait favoriser la réussite de ce genre d'actions pour renforcer l'aspect épique. En l’occurrence le challenge est aussi ailleurs, par exemple avec des enjeux importants concernant beaucoup de monde.
Dans un Cthulhu 1920 classique, les investigateurs sont des personnes normales et donc sans raison valable de se tirer facilement de situations périlleuses. Du coup, les actions que les persos de Donj feraient sans sourciller deviennent des challenge. Par exemple pour franchir un rapide dans un canot, ou escalade une falaise dans la forêt, ou tout simplement survivre à une blessure. Ici, le Meujeu n'a pas à être conciliant, au contraire. Il doit appliquer la règle pour rendre vraiment difficile la tâche des personnages.
Le fait est qu'une action héroïque deviendra banale dans Donj, et donc pas nécessairement remarquable, alors qu'un "petit rien" d'héroïsme de la part du vieux professeur grâce à un jeu réussi pourra devenir culte à la table.
Globalement d'accords avec ton commentaire, sauf qu'à mon avis, indépendamment du respect ou non des règles par le MJ, les personnages de D&D me semblent déjà intrinsèquement plus boostés que ceux de Cthulhu.
Les dongeoneux seraient donc déjà plus enclins à réussir des actions héroïque sans même la complicité du MJ.
Cela dit, connaissant peu les stats des persos de base de ces deux jeux, je m'avance peut-être.
Quoi qu'il en soit, la volonté du MJ à créer des scènes épiques ou non a très certainement un rôle dans cette affaire. Quand je mastérisais Kult, je respectait scrupuleusement les règles du jeu pour accentuer le côté faillible des PJ alors que dans Warhammer, j'ai parfois tendance à donner un coup de pouce au destin histoire de donner un petit côté cinéma aux scénars.
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