La taverne des rôlistes

Réflexion et analyse critique sur le JdR en général et sur des JdR particuliers

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Les cartes dans les JDR


Dans la plupart des jeux de rôles se déroulant dans un univers différent du nôtre et en particulier dans les jeux de fantasy, on trouve une ou plusieurs cartes de l'environnement dans lequel vont évoluer les personnages. La première utilité de ces cartes consiste à permettre aux joueurs (ou au MJ) de visualiser le monde imaginaire et de s'y orienter. Notons que cette idée de carte d'un monde imaginaire est un peu paradoxale. En effet, lorsque vous avez entre les mains une carte de notre monde réel, il ne fait aucun doute que le monde pré-existe à cette carte et que la carte sert à décrire le monde. La carte n'est pas le territoire qu'elle représente, mais elle lui ressemble structurellement. A aucun moment, le monde ne va s'adapter pour être fidèle à une carte. Dans les jeux de rôles, c'est tout à fait différent. La carte constitue une sorte de référence. Telle ville se situe à tel endroit "parce que" la carte le montre. C'est le monde qui se soumet à la carte. Elle prend alors un sens et même un pouvoir beaucoup plus important qu'une carte de notre monde qui doit bêtement se plier à la réalité. Une vraie carte a forcément tort si la réalité n'est pas d'accord avec elle. Car une carte se veut d'abord utile. Dans la réalité, ce qui compte c'est d'appréhender sur le papier ce qu'est la réalité, peu importe que l'information soit métrique ou qu'elle se présente sous forme de symboles, il faut que l'information nous aide à nous préparer à connaître la réalité dans laquelle nous serons plongés de fait. Dans le JDR, pas question que dans un second temps les personnages ou les joueurs soient confrontés à la réalité, la carte des compléments et autres livres de règles sont la vérité à la fois de la carte et du monde fictif, il y a une stricte correspondance entre les deux. Si bien que, dans le monde fictif, la confrontation avec la réalité est compensée par l'apport d'informations en périphérie de la carte. Dans les compléments les cartes sont accompagnées par du texte qui explique la réalité de la représentation : la politique, la population, la faune et la flore... La réalité fictive est donc fixée identiquement sur la carte (la seule représentation qu'on ai du monde fictif) et dans le texte (qui décrit le monde de la carte). Cependant, rien empêche que les PJs soient confrontés au cours du scénario à un problème de fiabilité de carte. Le MJ est évidemment libre de livrer l'information comme bon lui semble.

Cette ambiguïté de la localisation du monde imaginaire du jeu de rôle a été largement explorée par Röhl et Herbrik en 2008 (Mapping the imaginary). Ils ont notamment observé les interactions verbales et non verbales dans plusieurs groupes de joueurs pendant des parties de Donjon & Dragons. Ils ont entre autre remarqué que lorsqu'un joueur demande au MJ où se situent leurs personnages, certains demandent "on est ici ?" (en pointant un point sur le plan), alors que d'autre demandent plutôt "on est là-bas ?" (traduit de l'anglais). D'un point de vue linguistique, le premier joueur se situe dans l'univers imaginaire alors que le second considère que l'univers imaginaire est un endroit, ailleurs. On peut ajouter (les auteurs de l'étude n'en parlent pas) que certains joueurs n'auraient pas demandé "on est là-bas ?" mais "ils sont là-bas ?". Effectivement, en parcourant différentes tables de jeux, on s'aperçoit que parfois, les joueurs décrivent les actions de leur personnage à la première personne alors que d'autres les décrivent à la troisième personne. Dans la même logique que l'observation de Röhl et Herbrik, on constate que sur le plan linguistique, il s'agit de se situer dans le monde imaginaire en tant qu'incarnant un personnage, ou bien de rester dans le monde réel pour décrire "à distance" ce que fait le personnage dans l'autre monde.

Mais les cartes ne servent pas qu'à se repérer dans l'espace, elles servent aussi à donner de la consistance au monde imaginaire. On constate sur de nombreuses cartes utilisées dans les JDR (warhammer, D&D ...) que les éléments signifiants de la carte sont détaillés plutôt que symbolisés. Par exemple, les montagnes sont rarement représentées par un pictogramme, au contraire, on trouvera des montagnes dessinées, mont par mont. De la même manière, des lieux importants peuvent être représentés par un petit dessin qui n'a rien d'un pictogramme. C'est une caractéristique que l'on retrouve d'ailleurs dans les cartes touristiques. Dans la même logique, ce choix de réaliser des cartes de jeu de rôle à base de dessins plutôt que des schémas permet d'ajouter une dimension esthétique qui aide à visualiser le monde imaginaire plus facilement et qui la rend plus séduisante. En même temps, ces cartes respectent les standards de notre époque pour rester compréhensibles et utilisables par les joueurs. Selon Tolkien lui-même, le fait de mettre une carte dans son livre ("Le seigneur des anneaux") permet aux lecteurs de suivre le trajet des héros, ce qui donne un "accent de réalité" au monde. L'idée de Tolkien était que le monde du seigneur des anneaux devait être un monde cohérent dans lequel son histoire allait avoir lieu. Par exemple, la carte présente des endroits dans lesquels les personnages de l'histoire ne vont pas et qui ne sont donc pas utiles à l'histoire, cela permet donc de renforcer l'impression selon laquelle le monde existe indépendamment de l'histoire. Notons que la carte de Tolkien et la plupart des cartes de jdr de fantasy combinent une apparence médiévale avec les conventions modernes de la cartographie (échelle, points cardinaux) : On trouve des créatures mythiques (dragons, serpents de mer...), des ornements celtiques et des noms folkloriques ("la forêt des ombres", "la montagne maudite"...). Il y a l'idée selon laquelle ça n'est pas seulement une carte qui décrit le monde mais une carte qui est issue de ce monde, réalisée par des cartographes médiévaux fantastiques.

Carte de fantasy


Les cartographes des univers de fantasy cherchent donc à réaliser des cartes esthétiques pareillement aux cartographes de la renaissance.

Carte du monde version renaissance

Le second type de plan utilisé pendant les JDR est le plan dessiné par le MJ qui décrit un lieu ou une situation afin de permettre aux joueurs de positionner leurs personnages et d'établir des plans d'action. Par exemple, on pourrait trouver le plan d'un campement ennemi que les personnages ont la ferme intention d'infiltrer. En l'absence de plan, ce type de scène est très difficile à jouer car les malentendus (voir notre article sur les représentations mentales) sont très probables. De plus, lorsqu'il s'agit de décrire un environnement spatial ("telle tente est placée à droite du mur...") et des mouvements à l'intérieur de cet environnement ("je longe le mur et je m'arrête au niveau de la tente..."), la situation est tellement difficile à visualiser pour les joueurs que le dessin d'un plan, aussi sommaire soit-il, se fait spontanément. Cela n'est d'ailleurs pas propre au JDR, dans à peu près n'importe quelle situation dans laquelle on est amené à décrire un chemin dans un lieu éloigné du champ perceptif de l'interlocuteur, on dessine, si on a du papier et un crayon sous la main (ce qui est presque toujours le cas pendant les JDR).

Ainsi, si les cartes de notre réalité ont pour unique but de nous guider ou de nous situer, les cartes de JDR ont quelques fonctions supplémentaires. Elles servent à donner corps à l'univers, à le rendre réaliste et immersif (par le biais des décorations personnalisées). Grâce aux cartes, les zones dans lesquelles les PJ ne voyagent pas existent quand même dans leur imaginaire. Ces cartes ont aussi la particularité d'exister en tant qu'objets dans le monde imaginaire, ce qui signifie que les personnages eux-mêmes sont susceptibles de tenir entre ses mains la même carte que le joueur. Une carte réelle s'appuie sur le monde alors que dans le JDR, la carte donne naissance au monde. Le monde imaginaire et la vision de celui-ci que donnent les cartes, sont donc superposés. Enfin, la carte est aussi un reflet du background du jeu, et donc de la vision du monde qu'il propose ainsi que de ses éventuels sous-entendus idéologiques.
Donc les cartes de JDR auraient 3 fonctions :
- support de l'imaginaire pour tous les joueurs
- objet fonctionnel pour les joueurs
- expression de la vision du monde sous-tendue par le background


Sylvain

4 commentaires:

ub bien bel article décrivant bien la force d'une carte imaginaire, ainsi que les limitations qu'elle impose au groupe.

 

Géographe et rôliste, j'ai eu beaucoup de plaisir à lire cet article. Je ne vais donc pas décrire ses mérites mais pinailler un peu :

"Or, la principale différence entre une carte touristique et une carte routière par exemple est que la carte touristique ne se veut pas seulement informationnelle, elle a aussi l'ambition d'être agréable à consulter."

Voilà l'unique phrase à laquelle je vais m'opposer vivement. Toute carte veut être agréable à consulter, la touristique, la routière et même la carte d'état major. C'est l'une des composantes majeur de la notion même de cartographie. L'élément qu'il faudrait mettre en avant n'est pas la lisibilité mais l'ornementation. La carte touristique est plus élégante, mais certainement pas plus agréable à consulter.

 

Honnêtement, je l'ignorais. Puisqu'il s'agit bien d'une erreur, j'ai supprimé la phrase en question.

 

Et un auteur à l'écoute avec ça !
Ceci dit, mon pinaillage n'enlève rien à la grande qualité de cette réflexion.

 
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