Il y a fort longtemps, lorsque j'étais un jeune MJ vigoureux et des rêves plein la tête, ma méthode de conception de scénario était très différente de ce que l'expérience m'a appris à faire par la suite. Il y a un point qui me posait problème à chaque fois, c'est "comment les personnages vont-ils se retrouver ensemble (alors qu'ils n'ont rien en commun) à poursuivre cette quête (alors qu'ils n'ont aucune raison de s'y intéresser) ?"
En tant que joueur, j'ai pu constater que les MJ ne faisaient pas forcément beaucoup d'effort de ce côté, par exemple :
- Dans la taverne, il y a plein de monde, dont les PJ; un apprenti sorcier elfe, un barbare nain et un jeune marchand, qui ne se connaissent pas entre eux. Tout à coup, un homme mystérieux (il porte une capuche alors qu'il est à l'intérieur... mystérieux donc) fait signe aux trois PJ de s'approcher. A personne d'autre, seulement aux trois PJ. Et il se trouve qu'il a une quête à leur proposer. Quand on a une tête d'aventurier, il faut assumer...
- Dans la version moins fantasy et plus "cyberpunk", on a des PJ qui ne se connaissent pas, qui sont chacun dans leurs domiciles respectifs, et leur trois téléphones sonnent. Dans les trois cas, c'est la même personne qui propose un rendez-vous tout en refusant de donner trop d'informations. Comme il a donné le même rendez-vous aux différents PJ, ils se retrouvent tous les trois en face de lui. Il va alors tenter d'expliquer avec beaucoup de sérieux qu'il a absolument besoin d'eux (Un informaticien, un motard et un marchand d'arme) pour protéger un convoi spécial transportant une arme chimique. Pour situer la scène, ça se passe dans un monde dans lequel "mercenaire" est une case que vous pouvez cocher sur les formulaires de recensement que vous envoie la mairie. Pourtant la personne cherchant à recruter des gens pour protéger un convoi hyper important se procure les numéros personnels des PJ pour les appeler chez eux. Il devait y avoir une grève des mercenaires ce jour là...
Bref, les MJ ne sont pas toujours très à l'aise avec cette partie des scenarii qui est pourtant cruciale comme le montre le site "Ambiance JDR" dans "Des intros béton !". Cela dit, les exemples que je donne ici correspondent à des tables de 14 à 18 ans environ. Il semblerait que les groupes plus expérimentés (disons le tout net : plus vieux) ont trouvé des moyens beaucoup plus réalistes pour franchir cette fameuse étape de l'amorce d'un scénario. Le blog de fetidegrigou propose d'ailleurs quelques idées intéressantes et si possibles "cohérentes" pour intégrer un nouveau personnage dans un groupe. Intégrer un nouveau personnage à un groupe n'est pas une chose facile, mais former un groupe qui n'existe pas encore est plus complexe encore. Il y a au moins quatre moyens de s'en sortir avec brio.
Anticiper
Le premier consiste à anticiper, c'est-à-dire à donner dès la création des personnages un point commun entre eux qui permettra de les réunir facilement. Dans l'exemple de cyberpunk, la chose serait mieux passée si tous les personnages avaient été portés sur les métiers de la sécurité ou du mercenariat. Ce point commun peut donc être interne aux personnages (profession...). Pour l'exemple médiéval, les personnages pouvaient aussi avoir une connaissance en commun (l'oncle Tom de l'un peut être le mentor de l'autre, et un vieil ami du troisième). Ainsi, une quête qui implique de sauver cette connaissance des griffes des méchant "orcs sauvages du chaos" réunirait facilement le groupe. Le point commun peut donc aussi être "externe" au personnage. Cette méthode est d'ailleurs utilisée dans un scénario proposé par les auteurs du JDR changelin dans lequel les joueurs incarnent des personnages qui sont tous étudiants dans une même université, ayant des idées révolutionnaires et se connaissant déjà. A partir de ces postulats, il est évident que le MJ n'aura aucun mal à amorcer ses scenarii. D'une manière plus générale, les scenarii vendus dans le commerce proposent souvent des personnages "pré-tirés" déjà plus ou moins intégrés à l'histoire. Lorsque ça n'est pas le cas, ils donnent le plus souvent des pistes permettant de créer l'amorce bien que celles-ci ne soient pas toujours très subtiles ; je pense par exemple au scénario présenté dans le livre des règles de Warhammer JDR (1er édition) qui commence avec un commanditaire qui fait, pour des raisons qui sont loin d'être évidentes, appel au groupe de PJ.
Introduire
Il est aussi possible de laisser les joueurs faire leurs personnages de façon totalement libre, et de leur faire jouer à chacun une petite introduction en solo. C'est un moyen de les intégrer dans une histoire commune, chacun par une porte différente et correspondante à l'histoire propre du personnage. Pour l'exemple Fantasy, le barbare nain apprend qu'il y a une tribu d'orcs à massacrer, l'apprenti sorcier apprend que son maître a été capturé par ces mêmes créatures, et le jeune marchand souhaite se faire escorter pour traverser la forêt qui est, paraît-il, infestée d'orcs. On se retrouve alors avec des PJ qui ne demandent qu'à former un groupe.
Forcer les choses
Trois personnages peuvent très bien se retrouver pour des raisons différentes au même endroit. Et le fait d'être au même endroit à un moment donné peut suffire à s'embarquer dans la même aventure. Les trois personnages peuvent être les survivants d'une catastrophe (type attentat) que des tueurs poursuivent pour finir le travail. Pour cyberpunk, les PJ sont chez le futur commanditaire pour tout autre chose. L'informaticien répare son PC, le marchand d'armes lui propose ses dernières promotions sur les grenades à fragmentation, et le motard bricole sa moto. Il se trouve que tout le monde est dans sa propriété. Tout à coup, il reçoit un coup de téléphone qui lui annonce que le groupe de mercenaires qu'il a engagé pour protéger son convoi vient de se décommander alors que le convoi part dans une heure. Il n'a pas le temps de trouver une autre équipe, alors, résigné, il propose aux trois personnes qui sont chez lui de prendre cette mission.
Observer
Plutôt que de préparer à l'avance l'amorce du scénario, il est aussi possible de la réaliser en s'inspirant de ce que font les joueurs. Cela implique de consacrer une séance à laisser les joueurs décider tranquillement de leurs actions, et en fonction de ce qu'ils décident de faire, de glisser des petits évènements qui vont les guider petit à petit vers le point de départ du scénario. L'avantage de cette technique est que la créativité des joueurs peut parfois donner de nouvelles idées pour enrichir l'histoire. L'inconvénient en revanche est que cela nécessite une certaine capacité à improviser.
Personne n'aurait l'idée de faire jouer deux fois le même scénario aux mêmes joueurs. Pourtant nous jouons souvent la même amorce. Cela n'est d'ailleurs pas propre au JDR. Le même type de reproche pourrait être adressé à certaines séries TV qui suivent très régulièrement le même schéma narratif (les séries policières comme "les experts" en sont un bon exemple). Pourtant, il n'y a finalement que très peu de JDR dans lesquels il est cohérent de proposer aux PJ des "contrats" de mercenaires. A part dans Shadowrun (les "runner" sont des mercenaires), les JDR proposent le plus souvent de jouer différentes professions. Et même avec l'exemple de Shadowrun, si les scenarii se résume à une succession de contrat, ils risquent de devenir rapidement lassant, alors que si leur premier employeur refuse de les payer, mais tente de les faire éliminer ou accuser à tort d'un crime, cela prend une autre dimension.
En ce qui concerne la gamme White Wolf, il est possible pour le mj pour mettre en contact ses personnages et créer un groupe cohérent, de s'appuyer sur des caractéristiques propres à chaque race jouée et propres au background. En regardant les feuilles de personnage, on peut remarquer que chaque race a un ou plusieurs traits qui lui sont propres. La rage, la métamorphose, la gnose, pour les garous ; le paradoxe, l'entéléchie pour les mages ; la réserve de sang et les vertus pour vampire ; Glamour et banalité pour les changelins... Les créatures d'une même race sont donc soumises aux mêmes contraintes et aux mêmes pulsions. Le MJ peut facilement mettre en scène une situation réunissant les personnages d'une même race. Il est également possible de repérer les grandes problématiques qui concernent chacune des races et par conséquent toucheront tous les personnages d'une même race. Dans garous par exemple, la perpétuation de l'espèce est un enjeu majeur, ce qui fait que les tribus sont très attentives sur le "avec qui se reproduire" et sur le suivi de leur potentiel descendant. Cet exemple concerne spécifiquement garou mais je crois que chacun des JDR du monde des ténèbres peut se schématiser en à partir de ce type de grandes dynamiques dans lesquelles les personnages seront inscrits. Ainsi, un bon moyen de réunir les personnages est de s'appuyer sur ce qui fait la spécificité de la race ou du JDR concerné. Et il me semble que White Wolf insiste sur ce fait en créant un monde des ténèbres post-apocalyptique qui impose l'état d'urgence à ces dynamiques, elles seront donc très présentes pour les personnages. Alors pourquoi s'en priver ?
Sylvain & Nicolas
2 commentaires:
Sachant qu'il y a aussi la possibilité, peut être plus audacieuse, de commencer le scénario en plein milieu de l'action, "In media res".
Il me semble que le blog de Tartofrez propose une liste brainstormée de Casus NO sur commencer en plein feu de l'action.
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