La taverne des rôlistes

Réflexion et analyse critique sur le JdR en général et sur des JdR particuliers

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Les personnages révèlent-ils la personnalité des joueurs ?

Dans les jeux de rôles, le psychologue de comptoir sommeillant en chaque joueur a souvent tendance à lui faire dire des choses telles que "avec nos personnages, c'est une facette de nous-même qui s'exprime", ou encore "on fait nos personnages de façon à pouvoir faire ce qu'on ne peut faire dans la vraie vie". Ces deux visions des choses sont en opposition. Dans un cas, le personnage doit plus ou moins ressembler au joueur, dans l'autre, il est justement ce que le joueur n'est pas. Alors que faut-il en penser ? La création d'un personnage a t-elle vraiment quelque chose à voir avec la personnalité du joueur ? Autrement dit, si nous avons cinq joueurs et cinq feuilles de personnages et leur historiques, pourrions nous deviner à quel joueur appartient chaque personnage ? Rien n'est moins sûr.

L'hypothèse selon laquelle nos personnages sont crée pour faire ce que nous ne pouvons pas faire dans la vie pourrait se traduire par le fait que des joueurs très introvertis devraient créer des personnages très extravertis. Par exemple, dans la vie, il est timide, il n'aborde pas de jeunes demoiselles, il ne se rebelle pas contre son patron tyrannique, quand on le bouscule dans la rue c'est lui qui s'excuse... Par conséquent, en jouant son premier jdr, il crée un gros Biker tatoué de partout, qui drague vulgairement toutes les femmes qu'il croise et qui cherche la bagarre avec les gens qui ne lui plaisent pas. Pourquoi pas. Mais si je regarde dans mon entourage, ça ne fonctionne pas vraiment.

Les univers de jdr ne sont pas faits pour ça. Les scénarii consistent souvent à enquêter, à combattre dans des conditions assez peu confortables. Finalement, les joueurs ne jouent pas des personnages très riches avec un(e) conjoint(e) au physique avantageux et partant faire le tour du monde en catamaran. Pourtant, dans la catégorie "désir qui ne peut être réalisé dans la vraie vie", ça doit être plus répandu que d'être poursuivi par des démons anthropophages.

L'univers du jdr est propice à l'aventure plus qu'au fantasme. Néanmoins, l'aventure fait effectivement rêver, et comme le cinéma, le jeu de rôle nous amène a "vivre" des aventures qui seraient dangereuses ou tout simplement impossible dans la réalité. Mais la création de personnage n'est pas soumise à cette logique. Les personnages de jdr répondent à des stéréotypes spécifiques qui ne correspondent pas à la réalité. Dans la vraie vie, les gens que vous croisez, pouvez-vous les ranger dans des cases comme "vieux sage", "gros bourrin", "filou mystérieux" ? Les vrais gens sont plus complexes que cela.

Comparer la personnalité d'un vrai humain à celle d'un personnage, même lorsque le personnage est très bien élaboré, est une démarche vouée à l'échec. Les standard des deux mondes (le jeu de rôle et le "vrai" monde) sont différents. Dans un jeu de rôle, quelqu'un qui est prêt à sortir son fusil/sabre laser/hache de guerre au moindre bruit suspect est finalement quelqu'un de relativement normal étant donné que les univers de jeux de rôle sont souvent très dangereux. En revanche, dans notre monde, cet individu serait qualifié de fou furieux. Ainsi, les représentations que nous avons des traits de personnalité (introverti, agréable...) ne correspondent plus à rien dans un Dungeons & Dragons ou autre univers très différent du nôtre. Non seulement les aspects moraux sont incomparables, mais les personnages de jeux de rôles sont des versions ultra-simplifiées de personnes. Des schémas en quelque sorte.

De plus, nous n'interprétons pas n'importe qui, les personnages sont souvent des aventuriers "héroïques" alors que dans la réalité, ben... on est quand même plus ou moins comme tout le monde, il faut bien le reconnaître. Si vous et votre personnage échangiez vos vies l'espace d'une journée, vous seriez probablement mort criblé de balles/flèches par des gobelins/robots parce que vous êtes quelqu'un de poli qui cherche toujours à régler les conflits par le dialogue. Quant à votre personnage, il serait en prison après avoir tenté d'étrangler un ado dont le tatouage ressemblait au symbole d'une secte du chaos quelconque. Il y a bien sûr des personnages de jdr qui ne sont pas des gros bourrins. Sauf que même ceux-là ont généralement une grande tolérance à la vue du sang lorsque leurs collègues (qui sont de vrais bourrins, eux) s'en donnent à cœur joie. Dans la vraie vie, si on assiste à une tuerie (même sans y prendre part) notre vie change, c'est un événement traumatisant. Dans un jeu de rôle, et parce qu'un jeu de rôle doit rester "jouable", les personnages encaissent ce genre de choc sans problème.

Évidemment, il est très tentant de croire que la création de personnage est révélatrice de la personnalité, que cela met en scène des désirs et des frustrations. Il s'agit d'une sur-interprétation. A mon avis, la dose de notre personnalité que l'on glisse dans les personnages se situe, à un niveau très superficiel. On ne met pas dans notre personnage des aspects profonds et cachés de notre personnalité, on ne crée pas non plus nos personnages pour combler les manques dans notre caractère, on le crée surtout selon nos goûts. Je connais un passionné de culture japonaise dont les personnages sont systématiquement des maîtres en art martiaux avec un Katana à la ceinture (même dans des jeux où le Japon n'existe pas). Or, être passionné par l'orient est compatible avec toute sorte de personnalité, mais la conséquence dans tous les cas est que les personnages seront souvent inspirés par cet aspect culturel. S'il était passionné par la mythologie viking, je suis à peu près certain que ses personnages seraient différents. Par contre, s'il était plus jovial, ou moins perfectionniste, cela ferait-il une différence ?

Pour reprendre la question du début de ce texte, "si nous avons cinq joueurs et cinq feuilles de personnages et leur historiques, pourrions nous deviner à quel joueur appartient chaque personnage ?". Peut-être. Mais plutôt que de m'intéresser à la personnalité des joueurs, je m'intéresserais à leurs centres d'intérêts. Je leur demanderais quels sont leurs films/romans/BD préférés, leurs loisirs ou encore leurs groupes de musique préférés. Ensuite, je rechercherais des ressemblances entre ces réponses et les personnages.

Néanmoins, il existe bien un lien entre les goûts et la personnalité. En conséquence, il existe aussi un lien entre la création du personnage et la personnalité. Mais ce lien indirect est complexe et probablement différent selon le type d'univers du JDR (la fantasy n'exerce pas les mêmes contraintes que le gothique-punk par exemple) et aussi selon la personnalité du joueur. Je pense donc que ce lien, bien qu'existant, ne permettrait pas de prédire avec une certaine régularité des caractéristiques d'un personnage en fonction de la personnalité du joueur.

Sylvain

6 commentaires:

"Les personnages révèlent-ils la personnalité des joueurs ?". Après des années de jeu, je dois avouer que cette question si simple au demeurant, me pose pas mal de problèmes.
Ma première idée aurait été de dire oui. Mais c'est plutôt parce que la personnalité des joueurs influence leur façon de jouer. Les joueurs ne sont pas des acteurs (même si certains ont un talent de comédie), ils n'interprètent un rôle de composition. Pour reprendre un exemple, un joueur extraverti aura du mal à jouer un personnage timide de manière suivie et réaliste. A l'inverse un joueur introverti et timide, même s'il joue un perso grande gueule, aura du mal à s'imposer.
Une exception à cela tout de même : que l'interprétation du personnage révèle un part cachée du joueur, une qualité (ou un défaut) qui ne demandait qu'à être titillé pour se révéler. Dans la réalité ce trait de caractère n'aurait pas été remarqué, car en vrai : les dragons, les vampires, les orks, les sorciers démoniaques n'existent pas, et on n'a pas à se battre contre eux pour sauver le monde...

 

Je suis d'accord avec toi sur le fait que l'absence de professionnalisme des joueurs pour incarner des personnages implique qu'ils fassent appel à d'autres outils (ou moyens) pour animer leur propre personnage.
Veux-tu dire que la partie SF (les créatures fantastiques, les pouvoirs magiques...) des univers de JDR, obligent les joueurs à révéler une part d'eux-mêmes à la fois presque imperceptible jusqu'ici (pour lui-même peut-être et pour les autres) mais qui ne demandait qu'à s'exprimer (heureusement le JDR est là !) et à la fois profondément liée à leur personnalité comme l'est un défaut ou une qualité ? Et que cette part enfouie est ce qui fait la particularité du personnage (ce qui fait que ce perso est celui de tel joueur et pas d'un autre) et ce qui donne l'étincelle de vie du personnage à la place de vraies compétences d'acteurs ?

De mon point de vue, les lacunes des joueurs sont largement compensées par les règles, qui redonnent confiance aux joueurs (ce mec me cherche et je suis deux fois plus bourrin que la moyenne... Sus au dialogue place aux baffes !) et peuvent prendre en charge (de façon très relative) les actions et les paroles du personnage par des jets de dés (jets de manipulation, de séduction, de baratin...).

De plus, comme le montre Sylvain, le personnage fait preuve d'un self-control hors du commun face à des situations qui sont pourtant, pour le joueur, inconnues et totalement surréalistes. J'ai déjà parlé, dans un de mes articles, de l'exotisme qui selon moi joue un rôle important dans la distance que le joueur place entre lui et son personnage (et du coup entre lui et toute la violence de la fiction). Mais pour en revenir à notre question de l'interprétation, le joueur peut, à mon avis, pallier à un manque de compétence (d'acteur) par une certaine distance intellectuelle. D'une façon il n'incarne plus son personnage mais le place dans un schéma de possibilités et de probabilités liées aux caractéristiques de sa feuille de perso, son background, les quelques éléments de personnalité inventés (parfois soutenus par des règles comme avantages et désavantages, un choix d'archétypes, les alignements dans Warhammer...). Le "jeu" est remplacé par la logique pure. Le joueur ne s'exerce pas à rendre cohérent le perso en faisant appel à une incarnation et ainsi à une extériorisation artificielle de sentiments puisés directement dans le personnage, mais grâce à une schématisation du personnage et ainsi à sa réalisation logique.
Bien entendu, il me semble probable que ces deux extrêmes s'entremêlent durant les scénarii et se mélangent également à une expression plus ou moins contrôlée (on en revient à tes propos si j'ai bien compris ; on verrait alors des défauts ou des qualités propres au joueur) de la personnalité du joueur.

 

Comme je l'écrivais dans mon commentaire, cette question me pose des problèmes. Je ne suis pas vraiment convaincu que les joueurs (Tous) soient capables de distanciation par rapport à leur personnage.
D'accord, dans certains cas, la logique des règles du jeu permettent passer outre les difficultés d'interprétation du rôle. Heureusement d'ailleurs !
Mais c'est la façon de jouer qui sera toujours influencée par le caractère profond d'un joueur. Même à des jeux vidéo plus ou moins perfectionnés, on peut deviner que chacun va jouer différemment : le fonceur, le prudent, le roublard... etc...
Un joueur qui utilise systématiquement des cheat code ou le mode god dans un jeu vidéo, comment joue-t-il aux jeux de rôle sur table ?

Selon moi, le jeu (n'importe quel jeu) est révélateur d'une portion plus ou moins importante de la personnalité du joueur.

Le jeu de rôle sur table, en tant que jeu social révèle un peu plus que les autres.

Ce qui fait aussi que par exemple, on ne peut pas jouer avec tous ses amis au jeu de rôle, et tous les rôlistes ne sont pas forcément amis. La part de personnalité et de caractère qui se cache derrière la feuille de personnage est probablement plus importante que l'on ne croit.

 

En fait le problème c'est que quand tu parles de "caractère profond" du joueur, cela fait référence à quelque chose de difficilement appréhendable. Le terme "profond" implique que c'est quelque chose qu'on ne voit pas chez le joueur, du coup, peut on vraiment se prononcer là dessus en dehors de supputations ?

Après tout, si je joue des excités et que je suis quelqu'un de calme, on pourra toujours me dire que "dans le fond", j'ai besoin de me défouler. Mais finalement, c'est un raisonnement qui marche forcément, qu'il soit vrai ou non.

 

Comme dit en introduction dans l'article, je dois faire un peu de psychologie de comptoir... ;-)
Et je vais propablement en rajouter une couche avec ce qui suit.
Je pense que malgré toutes les précautions et tout ce que l'on a pu dire ou écrire : ii y a bien un rapport entre jeu de rôle sur table et psychodrame.
Je pense aussi qu'on ne peut pas deviner le caractère d'un joueur en lisant sa feuille de personnage, et que toutes les feuilles de personnage de la terre des rôlistes sont interchangeables...

Cependant c'est bien la façon de jouer qui est unique au joueur. "Caractère profond" te semble un peu fort ? Disons : "traits de caractère", "habitudes", "manies", "gimmicks", etc... Et dans les joueurs on peut aussi englober la catégorie des meneurs de jeu, ils ont aussi leur petites habitudes...

Vous est-il déjà arrivé de jouer un scénario avec de parfaits inconnus et des feuilles pré-tirées? C'est beaucoup plus destabilisant que de jouer avec ses vieux potes, même s'ils ont inventé des personnages originaux. Alors pourquoi ?
On connait ses amis, on sait un minimum comment ils vont réagir face à telle ou telle situation, sans même faire attention aux personnages qu'ils ont créé.
Beaucoup plus compliqué avec des inconnus... là, on est souvent obligé de faire appel à : "la psychologie de comptoir du meneur de jeu".

 

Je pensais que par "caractère profond" tu faisais référence à quelque chose de l'ordre de l'inconscient freudien à qui on peut faire dire un peu ce qu'on veut. Mais si tu l'emploi dans le sens de "trait de caractère", alors on est d'accords. C'était donc bien une histoire de vocabulaire.

Pour résumer :
- lien personnalité du joueur/feuille de perso = faible et indirect
- lien personnalité du joueur/perso tel qu'il est interprété = fort et direct

 
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