Nous avions publié ici deux articles tentant modestement de décrire des
liens entre la psychologie des joueurs et la manière dont ils créent
leurs personnages puis les font évoluer (voir « Les personnages révèlent-ils la personnalité des joueurs ? » et « Du joueur au personnage : un gouffre ? »). Ces deux articles étant véritablement complémentaires, J’ai
décidé de synthétiser leur contenu dans un modèle unique et si possible
cohérent (voir ci-dessous).
Définition des termes
Le modèle décrit les influences que subissent les processus de « création » du personnage par le joueur, puis « l’interprétation » de ce personnage. Les influences du bas sont celle qui font partie du joueur, celles du haut sont au contraire extérieures au joueur. On utilise « personnalité » dans le sens d’un « ensemble de traits descriptif du comportement ». Par exemple, si je peux être quelqu’un de timide, d’extraverti, de blagueur… « Goût » dans ce modèle désigne l’ensemble des choses que le joueur aime et n’aime pas. Par exemple, je préfère les haches aux épées, les nains aux elfes, je n’aime pas la magie mais je trouve que le cyberware des jeux futuristes est super cool ! Les flèches roses claires signifient « a une influence sur… ». Je prétends donc que les contraintes imposées par le MJ, c’est-à-dire les règles (que le MJ décide d’appliquer, de modifier ou non) et les contraintes spécifiques (à la campagne, etc), ont une influence notable sur le résultat de la création de personnage. Je prétends aussi que l’interprétation du personnage subit l’influence du contexte fictif (tout ce qui se trouve dans l’espace imaginaire, l’ambiance, le scénario…) et réel (les joueurs coupeurs de parole ou au contraire très timides…).
Soyons clairs, l’idée selon laquelle la création de personnage subit l’influence du joueur et du MJ est une idée triviale, et l’influence du contexte et de la personnalité du joueur sur l’interprétation en est une autre. Ce que je propose ici pourrait se résumer en trois phrases :
- Les variables psychologiques qui influencent la création du personnage ne sont pas les mêmes que celles qui influencent l’interprétation.
- La psychologie du joueur n’influence la création ou l’interprétation du personnage qu’à l’intérieur d’un cadre restrictif que constituent les contraintes imposées par le MJ et le contexte.
- Un personnage subit des modifications au cours de sa vie de personnage (« remodelage »).
Goûts et personnalité
Le choix de considérer que les goûts influencent la création et que la personnalité influence l’interprétation est volontairement simplificateur. Je suis conscient que les choses sont moins cloisonnées que le modèle ne le laisse entendre et que les goûts peuvent être considérés comme une composante de la personnalité. Cependant, je pense que globalement, les joueurs font les choix de création notamment en fonction de ce qui leur plait et lorsque les traits de personnalités interviennent, c’est plutôt par anticipation de l’interprétation. Par exemple, si je suis quelqu’un de timide, il est possible que j’évite volontairement de jouer un personnage qui a beaucoup de bagou parce que je crois que ça va être injouable pour moi (on est donc déjà plus dans la catégorie « interprétation » que « création »). L’interprétation est quelque chose de dynamique. J’ai composé un personnage qui me plait et à présent je vais l’incarner. Sauf qu’on n’est pas au théâtre et je n’ai pas de texte à apprendre par cœur et de répétition pour améliorer ma composition. Je dois incarner mon personnage en temps réel et spontanément. S’il n’est pas impossible qu’un acteur de théâtre glisse involontairement une part de sa personnalité dans son interprétation, il est absolument évident que les rôlistes en glissent une grande part. On trouve par exemple des personnages qui prennent systématiquement un rôle de leader dans toute situation par habitude du joueur alors que le personnage est supposé être soumis et timide, ou d’autres incapables de cruauté y compris quand le personnage est supposé être une vraie brute. L’ensemble des points évoqués dans ce paragraphe sont argumentés plus en détails dans les deux articles cités en introduction de cette page.
MJ et contexte
Bien entendu, le joueur est en permanence soumis à des contraintes. Lorsqu’il crée son personnage, il a un certain nombre de règles à respecter, de points à répartir, de restriction dans le choix des classes de personnages ou de lieux d’habitation. Ce cadre contraignant vient du MJ car c’est lui qui fait le choix d’appliquer, d’ignorer ou de modifier chaque règle de création de personnage. Par ailleurs, un MJ peut ne pas vouloir qu’un pouvoir ou métier normalement très rare soit choisi par ses joueurs (par réaction simulationiste, un MJ de Warhammer peut en avoir marre de trouver un pourfendeur de trolls par groupe de joueur…). Le MJ fourni donc un cadre plus ou moins étroit et rigide dans lequel le joueur va pouvoir faire ses choix. Comme je l’évoquais dans l’article intitulé « Rencontre avec un personnage prétiré », on peut penser que plus le cadre de création est étroit (les personnages prétirés en sont les exemples les plus extrêmes) et plus il risque d’y avoir un remodelage important par la suite. L’interprétation se fait quant à elle dans un autre cadre, le contexte. J’entends par là le contexte réel et le contexte fictif. Le contexte réel en interaction avec la personnalité du joueur va contraindre l’interprétation. Par exemple, un joueur sous le charme d’une joueuse de la table est susceptible de chercher à se valoriser dans son roleplay. Un même joueur peut être très à l’aise avec certains joueurs et beaucoup moins avec d’autres, auquel cas il pourrait moins oser s’imposer et donc jouer son personnage comme étant plus en retrait. Le contexte fictif influence l’interprétation de manière plus directe puisque le joueur décide des comportements de son personnage en très grande partie en fonction de l’histoire dans laquelle il est inséré. Il est très peu probable que je décide que mon personnage commence une sieste alors qu’une bande d’orc est en train de le charger. Habituellement, le joueur va prendre acte de la situation fictive et agir en conséquence, ce qui ne signifie évidemment pas que les personnages sont totalement déterminés par leur environnement fictif.
Remodelage du personnage
Dans l’article « Le personnage et le joueur » (chez Awarestudios), l’auteur conclut sur ceci :
« Le personnage n'est plus une réponse à son environnement ("je suis le barbare, je suis indéboulonnable et je cogne très fort"), mais une question sans cesse posée ("est-ce que mon barbare est indéboulonnable ? Est-ce qu'il peut régler tous les problèmes à coups de masse ?"). «
Bien que je détourne la citation (l’auteur ne parle pas vraiment de la même chose que moi), je crois qu’elle illustre assez bien l’aspect dynamique d’un personnage de jeu de rôle. Dans la vraie vie, on n’a pas une image de soi complète, précise et immuable. Personnellement, il y a un certain nombre de situations que je n’ai jamais vécu et pour lesquelles je suis incapable de dire comment je réagirais. Si je vis une de ces situations, je le saurais et en même temps, cela me changera de sorte que la prochaine fois, peut-être que je ne réagirais pas de la même manière. Je vois les personnages de jeux de rôles d’une manière relativement similaire. C’est dans l’action que l’on « découvre » qui ils sont et si ce qu’ils sont nous plait. Le personnage est un système dynamique en interaction avec son environnement et aussi avec lui-même. Il peut changer son environnement, son environnement peut le changer, et il peut aussi changer par lui-même. Quoi qu’il en soit, il n’a aucune raison d’être figé.
Le joueur peut se rendre compte à l’usage que certains aspects de son personnage l’intéressent plus que d’autres. Il peut alors privilégier ces aspects. J’ai souvent créé des personnages trouillards qui finissaient par se montrer courageux. Ce qui correspond ici à une évolution du personnage du fait de ses expériences vient peut-être plus simplement du fait que ce qui est sympa à fabriquer n’est pas nécessairement la même chose que ce qui est sympa à interpréter. Un joueur habitué aux personnages « bourrin de service » me racontait un jour qu’il était embêté avec un de ses nouveaux personnage avec lequel il n’était pas à l’aise car il s’agissait d’un mystique plutôt sage et en finesse. Il réfléchissait à une évolution de ce personnage qui serait cohérente et qui règlerait le problème. A la fin de notre discussion, il avait en tête de faire pencher petit à petit son personnage mystique vers une mégalomanie du type « je suis la réincarnation de X, soumettez-vous à moi ! » (« X » étant le nom de son Dieu). Cet exemple est très intéressant parce le joueur a appliqué de manière absolument consciente et volontaire une correction sur son personnage parce qu’il ne lui convenait finalement pas bien. En même temps, il a pris en compte le contexte pour effectuer son modelage car il faisait bien attention à la cohérence de ses choix et il insistait sur le côté progressif de l’évolution qu’il allait impulser et ce pour respecter le cadre fictif.
Je crois que cet exemple est une version exacerbée et consciente de ce qui se passe en fait très souvent chez beaucoup de joueurs mais de manière plus discrète. Il peut s’agir de corrections mineures (j’oublie tel détail qui finalement ne m’amuse plus…). Pourtant, j’ai l’impression que si l’on notait notre vision du personnage à sa création et que, sans l’avoir relue pendant la période des parties de jeux de rôle pour ensuite seulement relire ce texte, on s’apercevrait du décalage, des oublis, des ajouts et évolutions en tout genre. Peut-être aussi parce-que non seulement le personnage se remodèle en permanence, mais le joueur aussi.
Sylvain
Définition des termes
Le modèle décrit les influences que subissent les processus de « création » du personnage par le joueur, puis « l’interprétation » de ce personnage. Les influences du bas sont celle qui font partie du joueur, celles du haut sont au contraire extérieures au joueur. On utilise « personnalité » dans le sens d’un « ensemble de traits descriptif du comportement ». Par exemple, si je peux être quelqu’un de timide, d’extraverti, de blagueur… « Goût » dans ce modèle désigne l’ensemble des choses que le joueur aime et n’aime pas. Par exemple, je préfère les haches aux épées, les nains aux elfes, je n’aime pas la magie mais je trouve que le cyberware des jeux futuristes est super cool ! Les flèches roses claires signifient « a une influence sur… ». Je prétends donc que les contraintes imposées par le MJ, c’est-à-dire les règles (que le MJ décide d’appliquer, de modifier ou non) et les contraintes spécifiques (à la campagne, etc), ont une influence notable sur le résultat de la création de personnage. Je prétends aussi que l’interprétation du personnage subit l’influence du contexte fictif (tout ce qui se trouve dans l’espace imaginaire, l’ambiance, le scénario…) et réel (les joueurs coupeurs de parole ou au contraire très timides…).
Soyons clairs, l’idée selon laquelle la création de personnage subit l’influence du joueur et du MJ est une idée triviale, et l’influence du contexte et de la personnalité du joueur sur l’interprétation en est une autre. Ce que je propose ici pourrait se résumer en trois phrases :
- Les variables psychologiques qui influencent la création du personnage ne sont pas les mêmes que celles qui influencent l’interprétation.
- La psychologie du joueur n’influence la création ou l’interprétation du personnage qu’à l’intérieur d’un cadre restrictif que constituent les contraintes imposées par le MJ et le contexte.
- Un personnage subit des modifications au cours de sa vie de personnage (« remodelage »).
Goûts et personnalité
Le choix de considérer que les goûts influencent la création et que la personnalité influence l’interprétation est volontairement simplificateur. Je suis conscient que les choses sont moins cloisonnées que le modèle ne le laisse entendre et que les goûts peuvent être considérés comme une composante de la personnalité. Cependant, je pense que globalement, les joueurs font les choix de création notamment en fonction de ce qui leur plait et lorsque les traits de personnalités interviennent, c’est plutôt par anticipation de l’interprétation. Par exemple, si je suis quelqu’un de timide, il est possible que j’évite volontairement de jouer un personnage qui a beaucoup de bagou parce que je crois que ça va être injouable pour moi (on est donc déjà plus dans la catégorie « interprétation » que « création »). L’interprétation est quelque chose de dynamique. J’ai composé un personnage qui me plait et à présent je vais l’incarner. Sauf qu’on n’est pas au théâtre et je n’ai pas de texte à apprendre par cœur et de répétition pour améliorer ma composition. Je dois incarner mon personnage en temps réel et spontanément. S’il n’est pas impossible qu’un acteur de théâtre glisse involontairement une part de sa personnalité dans son interprétation, il est absolument évident que les rôlistes en glissent une grande part. On trouve par exemple des personnages qui prennent systématiquement un rôle de leader dans toute situation par habitude du joueur alors que le personnage est supposé être soumis et timide, ou d’autres incapables de cruauté y compris quand le personnage est supposé être une vraie brute. L’ensemble des points évoqués dans ce paragraphe sont argumentés plus en détails dans les deux articles cités en introduction de cette page.
MJ et contexte
Bien entendu, le joueur est en permanence soumis à des contraintes. Lorsqu’il crée son personnage, il a un certain nombre de règles à respecter, de points à répartir, de restriction dans le choix des classes de personnages ou de lieux d’habitation. Ce cadre contraignant vient du MJ car c’est lui qui fait le choix d’appliquer, d’ignorer ou de modifier chaque règle de création de personnage. Par ailleurs, un MJ peut ne pas vouloir qu’un pouvoir ou métier normalement très rare soit choisi par ses joueurs (par réaction simulationiste, un MJ de Warhammer peut en avoir marre de trouver un pourfendeur de trolls par groupe de joueur…). Le MJ fourni donc un cadre plus ou moins étroit et rigide dans lequel le joueur va pouvoir faire ses choix. Comme je l’évoquais dans l’article intitulé « Rencontre avec un personnage prétiré », on peut penser que plus le cadre de création est étroit (les personnages prétirés en sont les exemples les plus extrêmes) et plus il risque d’y avoir un remodelage important par la suite. L’interprétation se fait quant à elle dans un autre cadre, le contexte. J’entends par là le contexte réel et le contexte fictif. Le contexte réel en interaction avec la personnalité du joueur va contraindre l’interprétation. Par exemple, un joueur sous le charme d’une joueuse de la table est susceptible de chercher à se valoriser dans son roleplay. Un même joueur peut être très à l’aise avec certains joueurs et beaucoup moins avec d’autres, auquel cas il pourrait moins oser s’imposer et donc jouer son personnage comme étant plus en retrait. Le contexte fictif influence l’interprétation de manière plus directe puisque le joueur décide des comportements de son personnage en très grande partie en fonction de l’histoire dans laquelle il est inséré. Il est très peu probable que je décide que mon personnage commence une sieste alors qu’une bande d’orc est en train de le charger. Habituellement, le joueur va prendre acte de la situation fictive et agir en conséquence, ce qui ne signifie évidemment pas que les personnages sont totalement déterminés par leur environnement fictif.
Remodelage du personnage
Dans l’article « Le personnage et le joueur » (chez Awarestudios), l’auteur conclut sur ceci :
« Le personnage n'est plus une réponse à son environnement ("je suis le barbare, je suis indéboulonnable et je cogne très fort"), mais une question sans cesse posée ("est-ce que mon barbare est indéboulonnable ? Est-ce qu'il peut régler tous les problèmes à coups de masse ?"). «
Bien que je détourne la citation (l’auteur ne parle pas vraiment de la même chose que moi), je crois qu’elle illustre assez bien l’aspect dynamique d’un personnage de jeu de rôle. Dans la vraie vie, on n’a pas une image de soi complète, précise et immuable. Personnellement, il y a un certain nombre de situations que je n’ai jamais vécu et pour lesquelles je suis incapable de dire comment je réagirais. Si je vis une de ces situations, je le saurais et en même temps, cela me changera de sorte que la prochaine fois, peut-être que je ne réagirais pas de la même manière. Je vois les personnages de jeux de rôles d’une manière relativement similaire. C’est dans l’action que l’on « découvre » qui ils sont et si ce qu’ils sont nous plait. Le personnage est un système dynamique en interaction avec son environnement et aussi avec lui-même. Il peut changer son environnement, son environnement peut le changer, et il peut aussi changer par lui-même. Quoi qu’il en soit, il n’a aucune raison d’être figé.
Le joueur peut se rendre compte à l’usage que certains aspects de son personnage l’intéressent plus que d’autres. Il peut alors privilégier ces aspects. J’ai souvent créé des personnages trouillards qui finissaient par se montrer courageux. Ce qui correspond ici à une évolution du personnage du fait de ses expériences vient peut-être plus simplement du fait que ce qui est sympa à fabriquer n’est pas nécessairement la même chose que ce qui est sympa à interpréter. Un joueur habitué aux personnages « bourrin de service » me racontait un jour qu’il était embêté avec un de ses nouveaux personnage avec lequel il n’était pas à l’aise car il s’agissait d’un mystique plutôt sage et en finesse. Il réfléchissait à une évolution de ce personnage qui serait cohérente et qui règlerait le problème. A la fin de notre discussion, il avait en tête de faire pencher petit à petit son personnage mystique vers une mégalomanie du type « je suis la réincarnation de X, soumettez-vous à moi ! » (« X » étant le nom de son Dieu). Cet exemple est très intéressant parce le joueur a appliqué de manière absolument consciente et volontaire une correction sur son personnage parce qu’il ne lui convenait finalement pas bien. En même temps, il a pris en compte le contexte pour effectuer son modelage car il faisait bien attention à la cohérence de ses choix et il insistait sur le côté progressif de l’évolution qu’il allait impulser et ce pour respecter le cadre fictif.
Je crois que cet exemple est une version exacerbée et consciente de ce qui se passe en fait très souvent chez beaucoup de joueurs mais de manière plus discrète. Il peut s’agir de corrections mineures (j’oublie tel détail qui finalement ne m’amuse plus…). Pourtant, j’ai l’impression que si l’on notait notre vision du personnage à sa création et que, sans l’avoir relue pendant la période des parties de jeux de rôle pour ensuite seulement relire ce texte, on s’apercevrait du décalage, des oublis, des ajouts et évolutions en tout genre. Peut-être aussi parce-que non seulement le personnage se remodèle en permanence, mais le joueur aussi.
Sylvain
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