On sait que les livres de règles ont pour mission de donner au lecteur l’envie de jouer, et lui donner aussi les moyens de jouer au jeu qui lui est proposé. Le plus souvent, dans l’introduction des livres de règles des JDR du WOD (c'est le World of Darkness, le monde dans lequel les joueurs joueront aux jeux de la gamme White Wolf), plusieurs paragraphes expliquent ce qu’est le monde du WOD, c’est le sous-chapitre nommé « Le monde des Ténèbres » ou « Le Gothique Punk ». La vision du monde qui est alors donnée peut être résumée dans les grandes lignes par : "vous prenez notre monde actuel et vous ajoutez dans un premier temps une bonne dose de noirceur, de décadence, de violence, en bref vous accentuez ce qui va mal dans notre monde, c’est la dimension punk. Puis, dans un second temps, il faut ajouter la touche gothique, c'est-à-dire des gargouilles aux coins des immeubles, des buildings qui se perdent dans les nuages de pollution…" Très bien. Côté ambiance le gothique punk est glauque à souhait, c’est efficace. Côté jouabilité c’est aussi efficace car partir du monde qu’on connaît permet de facilité l’immersion et l’improvisation. Ça fonctionne bien, alors pourquoi revenir là-dessus ?
Et bien je voudrais mettre le doigt sur un défaut de cette approche peut-être trop efficace, ou en tout cas qui demande à évoluer avec le temps pour saisir toute l’ampleur du background de WOD, et de jouer pleinement avec tous ses acteurs sans que le monde s’effondre dans l’incohérence et le grotesque. Ce qui me pousse à écrire cet article, c’est une page que j’ai lu sur le web :
C’est en particulier cette phrase « Un contexte dans lequel si ça continue il y aura bientôt plus de créatures surnaturelles que d'humains normaux (et encore, dans les humains normaux, je compte les coureurs cyclistes professionnels qui, vu les quantités de dopants qu'ils reçoivent, ne devraient pas faire pâle figure au milieu de toutes ces bestioles). », qui va nous occuper.
Dans un autre article, nous montrerons qu’il est possible d’évaluer la population des créatures dîtes surnaturelles, et qu’aux vues de nos évaluations ce n’est pas très alarmant.
Dans cet article je voudrais corriger la vision du WOD dont parle l’auteur du commentaire qui a retenu notre attention. Dans celui-ci, le problème est que dans le Monde des Ténèbres (le WOD), c'est-à-dire dans le monde Gothique Punk, tel qu’il est décrit dans les livres de règle, un homme qui se balade aura bientôt plus de chances de trouver une créature surnaturelle plutôt qu’un autre homme comme lui. Je pense que cette critique vise en particulier l’ambition éditoriale de White Wolf qui complète sa gamme au fur et à mesure en permettant de jouer de nouvelles créatures dans le monde des Ténèbres. Les joueurs ont pu jouer des vampires, puis des loups-garous, des mages, des fantômes, des changelins…. jusqu’aux momies. Effectivement, vu comme ça elle paraît bien petite la Terre. La planète des humains normaux serait en train de devenir la planète des créatures surnaturelles, et ça ce n’est pas normal selon le commentaire du web. Le problème est que dire ça, revient à mal comprendre le background du WOD. Je remets à plat les grandes lignes de ce background.
Qu’est-ce que la Terre dans le WOD ? La Terre où vivent les hommes est un des nombreux royaumes de l’Umbra. La Terre fait partie de l’ensemble de la création de Gaïa (je parle de l'esprit Gaïa, le Céleste qui est à la base de la création de toute chose, non pas la métaphore pour parler de la Terre et de la nature), elle n’en est qu’un royaume, même si elle est peut-être le plus important ou du moins un des plus importants de tous les royaumes. Nous savons aussi que cette création toute entière n’est plus gérée directement par Gaïa mais par la Triade : le Ver, le Tisserand et le Sauvage. Je ne reviens pas ici sur le rôle de chacun et les notions d’équilibre qui lient ces trois puissances. Seulement, quand le Tisserand a sombré dans la folie il a créé le goulet, et a séparé de par le fait le physique du spirituel. C’est ce fameux goulet que les garous doivent franchir lorsqu’ils passent dans l’Umbra, c’est ce fameux goulet qui emprisonne les changelins sur la Terre. Les esprits, eux aussi, doivent le franchir pour se matérialiser sur la Terre physique. Concrètement c’est une sorte de membrane qu’il faut franchir dans un sens ou dans l’autre. Donc le goulet sépare la Terre physique et la Terre spirituelle. D’ores et déjà, on peut dire que ceux qui vivent sur la Terre physique et qui non pas le pouvoir de passer le goulet, sont condamnés à vivre dans un monde réduit, dans une toute petite partie de l’univers de Gaïa (je parle toujours de Gaïa en tant qu’esprit). Ils ne peuvent se rendre dans les autres royaumes, ils ne peuvent côtoyer les esprits ni emprunter les ponts de lune ou les sentiers de Jade qui parcourent l'Umbra et relient le royaumes entre eux. C’est le cas de la plupart des humains, des hommes normaux.Allez, un peu de légende pour comprendre comment les humains en sont arrivés là! Il y a bien longtemps, quand l’esprit du Tisserand perdait sa raison, il se pencha sur le royaume de la Terre. Le goulet n’était encore que très faible. Il vit l’homme aux premiers stades de son évolution. Il remarqua son potentiel : l’homme se tenait sur ses jambes et avaient les mains libres, l’homme possédait le pouvoir de nommer les choses (c’est-à-dire le pouvoir de créer des choses que Gaïa n’avaient pas créées). Le Tisserand voulut alors se faire de l’homme son allié pour figer le monde dans sa Toile, il fit donc un marché avec lui. Le Tisserand offrirait à l’homme le feu et la connaissance pour qu’il puisse utiliser le pouvoir de nommer qui jusqu’alors était latent, en échange l'homme nommerait les choses. L’accord fut scellé. Puis le goulet se renforça et l’homme nomma si bien les choses qui l’entourait que ces choses se figèrent et perdirent leur spiritualité : le monde devenait limité, logique, rationnel, enfermé dans les limites de la science et de la raison. Lorsque le goulet fut devenu une barrière importante, beaucoup d’être ont eu du mal à le traverser et ont dû faire le choix de rester d’un côté ou de l’autre. Les hommes se complaisaient sur la Terre où ils nommaient les choses, et ils choisirent de rester dans la partie physique. Depuis la plupart des hommes ont oublié le côté spirituel du monde et sont condamnés à ne jamais passer le goulet. Ils compensent la perte du spirituel par leur capacité à nommer les choses, c'est-à-dire à les définir selon des principes artificiels et qui ne valent que dans le monde que les hommes se sont créés artificiellement : la science.
C’était long mais nécessaire je pense pour comprendre que l’homme normal est une créature surnaturelle aussi et qu’il fait partie de l’ensemble de la création de Gaïa. L’homme vit sur un royaume qui n’est pas le royaume où il n’y a normalement aucune créature surnaturelle, c’est une partie physique d’un royaume scindé par le goulet, et où n’importe quelle créature de l’univers de Gaïa peut venir et vivre si elle en a le pouvoir. Les garous y vivent depuis longtemps, les changelins aussi, les vampires idem, les esprits peuvent s’y matérialisés ainsi que les fantômes.
Alors je finirai par dire qu’il n’est en aucun cas anormal que le nombre de « créatures surnaturelles » (pour reprendre les termes du commentaire initial) augmente ou qu’il dépasse le nombre des « humains normaux ». Au contraire, si les JDR White Wolf font jouer dans le même WOD c’est justement parce que le Terre représente le principal lieu du conflit entre les trois puissances de la Triade, et c’est un combat qui est autant spirituel que physique, même du côté physique du goulet. Il n’est donc pas étonnant que les humains qui ont oublié leur nature également spirituelle soient totalement dépassés par les évènements qu'ils nomment surnaturels, car ce spirituel ne rentre pas dans leur vision étriquée du monde, vision régit par la science, la foi et la superstition : ce sont les nouveaux outils qui permettent à l’homme de vivre sans spiritualité.
Voilà, j’espère que vous voyez à présent que la question soulevée par le commentaire source, est une fausse problématique et qu’elle est posée depuis le point de vue humain du WOD, avec les ornières que le goulet et
la science ont appliqué à la vision humaine du monde.
Nicolas
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