Beaucoup de JDR contemporains mettent en scène des évènements surnaturels et tentent d'en apporter des descriptions aussi précises que possible afin de faciliter l'immersion des joueurs. Cela implique de faire des choix philosophiques lorsqu'il s'agit d'exposer sa conception de l'âme et du corps.
Pour schématiser de façon un peu sommaire, il y a deux grandes conceptions opposées de l'esprit, ou de l'âme (ce sont souvent deux synonymes) en philosophie. La première, et la plus ancienne, est la position dualiste. Le dualisme postule une séparation net et précise entre l'âme et le corps. Ainsi, selon ce courant de pensée, le corps est matériel (muscles, neurones...) alors que l'âme est une sorte de substance immatérielle liée au corps mais n'en faisant pas partie. Ce courant apparaît déjà en philosophie dans l'antiquité avec Platon pour qui l'âme doit s'élever vers le monde idéal des idées en se détachant du carcan matériel du corps, mais aussi évidemment la plupart des religions anciennes et actuelles. Je pense à la réincarnation des bouddhistes, au Paradis (l'âme qui survit au corps) ou encore à la "psyché" des grecs antiques. L'autre courant, plus récent, est le matérialisme. Ce courant a récemment prit de l'importance avec l'essor des sciences cognitives. Il consiste à considérer qu'il n'y a pas de séparation aussi nette entre le corps et l'esprit. En effet, l'esprit serait une propriété émergente du fonctionnement cérébrale. Il n'y aurait donc pas de "substance" mystérieuse accompagnant le corps mais simplement un cerveau d'une complexité telle qu'une conscience en émergerait.
Le jeu de rôle Vampire la mascarade a pour cadre une vision biblique et donc dualiste du monde et ne précise pas dans son background les aspects cosmologiques détaillés que l'on trouve par exemple dans Loup-garou. Mon exposé ne porte donc pas sur le background du monde des ténèbres dans sa globalité mais uniquement sur la vision du monde présentée dans le livre de vampire, ce qui ne constitue qu'une infime partie du background global.
La notion d'âme revient souvent dans le livre des règles de vampire. On trouvera ainsi la discipline "les yeux du chaos" qui permet au vampire d' "étudier les motifs de l'âme d'une personne" ou encore la discipline "projection psychique" dont l'utilisation a pour effet que "le corps matériel du vampire reste en etat de torpeur tant que son moi astral est actif". C'est donc bien une approche dualiste de l'âme et du corps qui est proposée ici. De plus, ce dualisme comporte un grand nombre de points communs avec le dualisme chrétien. En effet, on retrouve l'idée selon laquelle les animaux n'ont pas d'âme alors que les hommes en ont une ("les animaux n'ayant pas d'âme mais uniquement un esprit, le vampire peut glisser sa propre âme dans le corps de l'animal"). Les animaux sont ainsi désignés à de nombreuses reprises comme des créatures inférieures. De plus, les pulsions "animales" et les instincts sont présentés comme inférieurs aux comportements "humains", si bien qu'un humain (ou un vampire) qui ne serait guidé que par ses pulsions serait "sans âme" ("c'est l'essence même de ce qui empêche un vampire de devenir un animal sans âme" ). L'homme serait donc une espèce élue de Dieu contrairement aux animaux qui ne "vivent qu'au présent", "guidés par leurs seules instincts". Cette vision de l'homme comme étant fondamentalement supérieur à l'animale se retrouve d'ailleurs dans toutes les religions monothéistes.
Le problème de l'animalité est au cœur du jeu de Vampire. On le trouve en particulier sous deux formes : la frénésie et l'humanité. Le vampire est très sensible à cet état, proche de l'état animal, où seul deux choix deviennent envisageables par le vampire, détruire ou fuir. La perte de contrôle est totale. La frénésie correspond à un instinct de survie exacerbé, le vampire peut perdre le contrôle devant tout ce qui met en danger sa survie d'immortel : le feu, le soleil, le sang, pour les plus gros facteurs, ensuite viennent les situations de stress en tout genre selon que le vampire sait se maîtriser ou non. La frénésie est le plus souvent perçue par les vampires de la Camarilla comme une régression vers une bestialité primaire, laquelle qualifie selon eux les vampires du Sabbat.
Le second critère de mesure de l'âme peut être l'humanité, c'est-à-dire ce qui relie encore le vampire (le non-vivant ou le non-mort) à son état antérieur d'être humain. Être vampire signifie d'accepter d'être différents de l'homme mais la nouvelle puissance du vampire et son intelligence humaine lui interdise de se rattacher au règne animal primaire. Le vampire est-il alors supérieur à l'homme ? Il semble que chacune des sectes vampiriques se définissent principalement par l'acceptation que leurs membres se font de la condition vampirique, certains se voient comme une nouvelle espèce au sommet de la création, les autres craignent de régresser vers un état bestiale répugnant.
Ce dualisme se retrouve aussi dans la version orientale de Vampire bien que celui soit évidemment moins marqué par la bible. On y trouve des références fréquentes à l'âme qui serait elle même un dualisme entre le yin et le yang. Le yin correspond à tout ce qui est négatif, le mal au sens très large du terme, alors que le yang fait référence au positif (lumière etc), c'est à dire plus ou moins au bien à l'occidentale. En revanche, la distinction morale entre l'homme et l'animal n'est pas faite dans ce cadre car les animaux sont perçu comme ayant une âme au même titre que les humains (la réincarnation amène à s'incarner dans un corps humain ou animal).
Ce positionnement philosophique de Vampire a plusieurs raisons possibles. La première, c'est que cela correspond au point de vue des auteurs. La seconde, et c'est selon moi la plus probable, c'est que le dualisme est plus fécond que le matérialiste du point de vue de l'imaginaire dans le registre du surnaturel. En effet, le dualisme implique une très grande part d'inexpliqué (et d'inexplicable) dans le fonctionnement humain alors que le matérialisme conduit au contraire à l'idée que les scientifiques ont saisie d'une manière très générale le fonctionnement humain. Selon les deux approches, il reste beaucoup de choses à expliquer mais dans le courant dualiste, c'est l'essence même de l'humain qui est inexpliqué. Cette part de mystère permet sans doute de placer avec plus de "réalismes" des éléments tels que les pouvoirs mentaux ou les voyages astraux. A l'inverse, le matérialisme serait plus fécond pour ce qui concerne les univers futuristes (les "Cyberpunk") dans lesquels les personnages peuvent avoir les réflexes câblés pour être plus rapides, ou la mémoire directement reliées à un ordinateur par exemple.
Sylvain & Nicolas
3 commentaires:
oui enfin je pense que c'est dualiste aussi et surtout car c'est le vampire biblique et qui dit bible...
Effectivement, le vampire présenté est biblique, et cela explique sans doute le dualisme (au moins une part).
Cela dit, en croisant les différents background des jdr du monde des ténèbres, on s'aperçoit que l'origine des vampires n'est en fait pas liée à la version biblique de la création mais aux changelins (donc les mythes féériques) et si l'on remonte plus loin encore, aux légendes présentées dans les livres de Loup-garou qui eux, n'ont rien de bibliques.
En conséquence, il y a eut un choix de la part des auteurs de Vampire de prendre un vocabulaire religieux et une approche dualiste malgré le fait que cela ne corresponde pas réellement au background.
Je ne suis pas complètement sûr de moi sur ce coup là mais c'est la version que je retiens pour le moment.
Voilà, il me semble que la version biblique du vampire provienne du livre de Nod, c'est-a-dire du récit de Caïn lui-même sur ses propres origines.
La légende ou plutôt les légendes sont très présentes dans White Wolf. Souvent les chapitres qui prennent en charge le background sont des passages de récit que des personnages racontent. Duc coup le background se teinte immédiatement du point de vue d'un personnage (un loup-garou ou autre), on est très rarement dans l'objectivité. Pour vampire, avec le livre de Nod c'est pareil.
Se greffe à ça l'ambiance que les auteurs des livres veulent donner au JDR ; dans notre cas ils reprennent des problématiques religieuses, c'est leur choix et c'est intéressant.
Un autre élément est lié au background de vampire. Chez les vampires on peut distinguer tous les vampires qui parcours les villes toutes les nuits, des 13ème génération jusqu'au Prince, et les vampires qui ne participent plus directement aux affaires du monde (les anciens et les supers anciens). Ces derniers gardent un contrôle sur les vampires plus jeunes en gardant un voile de mystère sur leurs projets, en gardant floues leurs relations avec les fameux antédiluviens, et surtout en continuant de distiller comme une légende la venue au monde de Caïn (le livre de Nod).
Donc la vision biblique semble avoir plusieurs origines soient liées au background, soient liées à l'écriture du JDR ou soient liée à la transmission du background dans les bouquins.
Enregistrer un commentaire