Aujourd'hui, on peut trouver sur internet des jeux de rôle amateurs très variés en termes d'univers, mais aussi de qualité. Le site jrda.org propose plusieurs JDR en téléchargement gratuit et qui ont pour point commun d'être basés sur le système de règles intitulé RPG. Le système RPG est libre de droit, se veut simple à comprendre et à jouer, et facilement adaptable à tous les univers. Ce site propose le JDR "Conan" ou encore "Star Wars", mais celui dont j'ai choisi de vous parler est "Le jeu de rôle des annales du Disquemonde".
Pour ceux qui ne connaîtraient pas, les annales du Disquemonde est une série de romans écrits par le très talentueux Terry Pratchett et qualifié habituellement de "Fantasy Burlesque". Cet univers est une parodie de la fantasy et une satire de nos sociétés. Ainsi, malgré l'époque médiévale de ces histoires, des thèmes très actuels y sont abordés comme le racisme, la guerre, la religion, la science, la conscience...
Le livre du jeu de rôle proposé gratuitement en téléchargement se présente comme un ouvrage PDF de 258 pages, richement illustré et très complet. La couverture annonce la couleur tout de suite. Un non averti y verra quatre ivrognes en armure qui marchent dans une ruelle avec un dragon à l'air franchement hostile juste dans leur dos. En y regardant de plus près, je reconnais (de gauche à droite) Chicard Chicque, le vaillant capitaine Carotte Fondeurenferson, le commissaire divisionnaire Sammuel Vimaire et le sergent Fred Côlon. Il s'agit bel et bien des quatre premiers membres du guet municipal d'Ankh-Morpork (la police municipale si vous préférez).
Le Disquemonde
Le premier chapitre décrit le Disquemonde en lui-même. On parle de sa forme, mais aussi de son histoire et des lois qui le régissent.
Rappelons que le Disquemonde est un disque posé sur le dos de quatre éléphants, eux même sur le dos d'une grande tortue appelée la Grande A'Tuin, longue de seize mille kilomètres et nageant lentement dans l'espace. Les questions métaphysiques que se posent les philosophes sont de l'ordre de "quel est le sexe d'A'Tuin ?" ou encore "comment se fait-il que le disque en tournant n'irrite pas le dos des éléphants ?".
Pour résumer le principe général de cet univers, les croyances des gens ont tendance à produire l'objet auquel les gens croient. Ainsi, la Terre n'est pas ronde, elle est plate parce-que c'est plus intuitif lorsqu'on n'a pas les connaissances modernes en astronomie. De la même manière, la mort existe en tant que personnage ("personnification anthropomorphique" pour reprendre l'expression exacte) parce qu'on a tendance à prêter des émotions et surtout une volonté à ce genre de concept.
Les lois de la nature sur le Disquemonde sont largement influencées pas la "causalité narrative". C'est-à-dire que les évènements ont tendance à se produire de manière à bien rentrer dans le cadre narratif habituel. On peut citer par exemple la règle d'une chance sur un million :
"dans les histoires, les chances sur un million se produisent généralement neuf fois sur dix. C'est également vrai sur le Disque."
Cette règle est particulièrement bien illustrée dans le roman "Les tribulations d'un mage en Aurient" dans lequel une dizaine de vieillards estropiés (la "horde d'argent") remportent une victoire contre une puissante armée de milliers de soldats aurientaux. Cet évènement était si peu probable, et si héroïque que cela ne pouvait pas se passer autrement.
Ces pages sont suffisantes pour qu'un néophyte comprenne dans les grandes lignes à quel type d'univers il est confronté.
Géographie
La deuxième partie du livre présente la géographie du Disquemonde. Le Disquemonde est bourré de référence à notre réalité, c'est aussi le cas pour sa géographie. On y présente les Klatchiens (arabes), peuple du désert mais aussi Ankh-Morpork, citée occidentale regroupant à peu près tous les pires défauts que peut avoir une citée (pollution, violence, forts écarts de richesse...). L'überwald est une caricature de la Transylvanie, lieu hérissé de châteaux obscures habités par des aristocrates inquiétants. C'est un lieu ou "ne pas se transformer en loup les nuits de pleine lune passe pour étrange…". La description permet de se faire une idée à la fois complète et précise de ce qui compose le Disquemonde, en allant du continent Contrepoids, à l'Océan déshydraté en passant par des villages aux noms pittoresques (Rabotepin, Trou d'Ucques...).
Je regrette cependant que l'auteur n'ait pas réalisé de carte complète du Disquemonde. Je pense que les romans de Pratchett contiennent suffisamment d'informations géographiques pour réaliser ce travail et cela manque dans le livre. Néanmoins, l'utilité de ce chapitre est indéniable, il permet non seulement de décrire des lieux d'aventures potentiels, mais aussi de donner des idées pour jouer des personnages issus de cultures variées.
Ankh-Morpork
Un chapitre est entièrement consacré à la ville d'Ankh-Morpork. On y trouve une carte de la ville dès la première page, ce qui est appréciable. Pour résumer, Ankh-Morpork est la plus ancienne et la plus prestigieuse citée du Disquemonde. Cette ville sent extrêmement mauvais, grouille de voleurs et d'assassins, est dirigée par une sorte de despote, est très mal organisée pour répondre aux incendies ou aux inondations. L'ordre est assuré par le guet municipal (au "36 guet des Orfèvres") dirigé par le commissaire divisionnaire Vimaire dont les méthodes sont adaptées aux caractéristiques si particulières du crime dans cette citée. La citée est dotée d'une prison mais elle ne sert pas souvent car le guet considère qu'être logé "aux frais de la princesse" n'est pas une vraie punition. Vous aurez compris que cette citée est à elle seule une satire de nos sociétés occidentales.
Le dernier élément incontournable d'Ankh-Morpork est l'ensemble des guildes qui y règnent. On trouve la guilde des marchands, des assassins, des voleurs (c'est ce qu'on appel "le crime désorganisé"), des mendiants (la plus riche de toutes les guildes à ce qui se dit...) et bien d'autres encore.
La ville d'Ankh-Morpork est un très bon cadre pour une aventure d'introduction dans le Disquemonde. Le choix de pousser si loin la description de cette ville par rapport aux autres lieux me semble donc pertinent. Vous pouvez ainsi faire quelques scenarii dans ce cadre bien défini pour habituer vos joueurs à cet univers avant de les faire partir à l'aventure dans d'autres lieux.
Les personnages
Cette partie détaille le processus de création de personnage. Les espèces jouables sont les suivantes :
- humain
- nain
- gnome ou pictsie (version rurale du gnome)
- troll, gnoll, yéti, gargouilles (races de troll variées)
- vampire
- loup-garou
- zombi
- igor (serviteur dément des savants fous)
- momie
- animal savant (chien qui parle...)
Il est tout de même précisé que certaines espèces sont moins conseillées que d'autres, sauf dans le cadre de campagnes spécifiques. Par exemple, les vampires et les loup-garou sont des créatures très puissantes et parfois difficiles à intégrer à une aventure. Il me semble assez aisé de faire des équipes à thème pour des campagnes ciblées. On peut imaginer qu'un groupe de joueurs incarne une patrouille du guet municipal d'Ankh-Morpork par exemple.
Prenez garde au puzuma ambigu
Sous ce titre mystérieux se cache le bestiaire du Disquemonde. Le puzuma ambigu est l'animal terrestre le plus rapide, il peut atteindre de très grandes vitesses mais a beaucoup de mal à s'arrêter. Cet exemple donne le ton. Le bestiaire est le chapitre que j'ai pris le plus de plaisir à lire tout simplement parce que la plupart des créatures qui sont décrites sont complètement délirantes.
Voici quelques exemples :
"La chimère : Animal du désert. Elle a les pattes d'une sirène, le pelage d'une tortue, les dents d'un oiseau, les ailes d'un serpent (...) on ignore si elle se reproduit et, si oui, avec quoi."
"Le lemme flocheur : Personne ne sait à quoi ressemble le lemme, mais beaucoup admettent qu'il est invisible, si tant est qu'il existe. On lui reproche de traquer les mathématiciens pour les dévorer"
"Le soucieux à fanons : (...) Petit et malingre, ce rapace aussi appelé faucon sensas s'évanouit à la vue du sang et sait à peine voler. (...) Il faudrait une demi-douzaine de soucieux pour venir à bout d'un simple moineau. Et encore l'auront-ils sans doute à l'usure."
Je ne vais pas recopier tout le bestiaire, mais pour faire vite, on trouve aussi des grives suicidaires, des mangoustes gonflables, les éléphants ermites (comme les Bernards-ermites, ils se déplacent en portant une hutte sur le dos pour se protéger) et encore bien d'autres choses surprenantes...
Ce bestiaire est donc d'une richesse assez inégalée et intégrer ce genre de créatures dans vos parties devrait être un véritable plaisir. Un point surprendra tout de même les habitués de l'héroïc fantasy; les elfes existent sur le Disquemonde, mais ils sont présentés ici, dans le bestiaire, et non pas parmi les espèces jouables (alors que les trolls ou les vampires y figurent par exemple). Il se trouve que dans l'univers de Pratchett, les elfes vivent dans une dimension différente, ils ne peuvent donc raisonnablement pas être intégrés à un groupe de personnages "classique".
Pour conclure
Lorsque j'ai vu que ce site proposait le jeu de rôle des annales du Disquemonde, je me suis immédiatement dis qu'un JDR dans cet univers devait être injouable. Après lecture approfondie du livre proposé sur le site, j'ai changé d'avis. Même un MJ qui n'aurait lu aucun livre de Pratchett pourrait, s'il lit avec attention le livre du JDR, mastériser ce jeu. Évidemment, l'idéale serait un MJ ayant lu toute la série mastérisant pour des joueurs ayant le même bagage, mais c'est une configuration très peu probable. Le cas le plus fréquent est sans aucun doute le MJ fan de Pratchett qui veut mastériser ce JDR pour un groupe de joueur ne connaissant pas le Disquemonde, et cela me semble tout à fait faisable. L'auteur s'est d'ailleurs penché sur cette question et propose un texte à lire aux joueurs pour les introduire à l'univers du Disquemonde. Ce texte auquel on peut ajouter une introduction en douceur dans l'univers du Disquemonde par un premier scénario "pédagogiques" peut sans doute faire l'affaire.
Il faut aussi préciser que ce livre est en lui-même drôle, il est rare qu'un livre de JDR soit si plaisant à lire. Il est évident que la personne l'ayant écrit est un véritable passionné du Disquemonde. Le travail encyclopédique de regroupement des informations comme il l'a fait en piochant les informations éparpillées dans différents livres est tout simplement colossal et mérite d'être salué.
Sylvain
2 commentaires:
Merci pour cette critique fort pertinente et très complète. J'ajouterais pour les elfes que ceux-ci ne font pas vraiment partie du Disque-Monde, mais vivent dans une dimension parallèle et sont vraiment des crapules. Lire "Nobliaux et sorcières", des Annales.
L'auteur.
J'ai corrigé ce point, merci pour la précision.
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