La taverne des rôlistes

Réflexion et analyse critique sur le JdR en général et sur des JdR particuliers

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Les illustrations dans les livres de JDR

Image réalisée sur stripgenerator.com

A ma connaissance, on trouve des illustrations dans tous les livres de jeux de rôles. Il s'agit d'illustrations de lieux, de personnages importants, d'archétypes, d'équipements, d'antagonistes, bref, tout ce qui constitue l'univers fictif peut se retrouver représenté par un dessin dans le livre de base. Ces illustrations quasi omniprésentes jouent en fait plusieurs rôles : elles ont une fonction attractive, une fonction descriptive que l'on peut subdiviser en 2 catégories : illustrations génériques, illustrations dynamiques, mais aussi par effet collatéral une fonction restrictive.

Fonction attractive

Extrait de "Changeling : the Lost"
Un des objectifs des illustrations est de faire du livre un objet agréable. Grossièrement, regarder un beau dessin est quelque chose d'agréable, donc ajouter de beaux dessins à un livre va le rendre plus agréable à manipuler. Il est clair que la qualité des dessins dans un livre va dans certains cas faire la différence entre le livre que l'on a envie d'avoir chez soit (Les ombres d'Esteren, Changeling : the Lost etc) et celui qu'on se procure uniquement parce qu'on veut accéder aux règles ou au background (Changelin : le Songe, ou Deadlands par exemples) et que ferait aussi bien l'affaire en PDF. La troisième édition de Shadowrun a fait un effort particulier qui illustre bien ce besoin de créer un bel objet. Ce livre est en papier conventionnel et en noir et blanc, sauf une dizaine de pages vers le milieu qui ne contiennent que des illustrations en couleurs et sur papier glacé. Disons que cet exemple illustre un choix de compromis entre le prix (en évitant la couleur et le papier glacé sur toutes les pages, on réduit le prix) et le caractère agréable du livre qui passe notamment par les couleurs et la texture du papier. Si on fait un état des lieux des publications de jeux de rôle pro ces dernières années on peut s'apercevoir que la qualité du livre de jeu de rôle est un réel argument de vente. Les éditions sont très souvent en couleur en papier glacé et largement illustrées. Je ne vais pas détailler mais on pourrait mesurer cet impact et le besoin qu'on les rôlistes d'avoir un bel ouvrage en se rendant sur l'excellente Rôliste.tv où une rubrique est consacrée aux "ouvertures ludiques".
Mais cette fonction attractive des illustrations n'est pas neutre. Comme nous l'avons évoqué dans „Carnet de bord“, un ensemble de dessins qui possède une bonne homogénéité de style va permettre de donner une coloration d'ambiance au background comme le fera le choix du contenu. Par exemple, on a pu constater une évolution d'ambiance importante entre la première et la seconde édition de Warhammer. La première édition, en noir et blanc, était parsemée d'illustrations de personnage réalistes, c'est-à-dire pas toujours beaux et pas toujours puissants. Dans la seconde édition, on passe aux dessins en couleurs. Ces illustrations ne représentent plus que des groupes de héros redoutables et majestueux (prêtres guerriers, tueur de trolls...) dans des poses calculées. Cette différence à elle seule incite vraisemblablement les joueurs de la première édition à jouer un Warhammer réaliste, sombre et violent et ceux de la seconde, à jouer un jeu plus manichéen de héros qui combattent des méchants bien désignés (orques, skavens...). 
Fonction descriptive 

Extrait de "Changeling : the Lost"
La seconde fonction des illustrations dans les livres de jeux de rôle est de fournir une information descriptive concernant un lieu, un personnage ou un objet. Le principe même du jeu de rôle repose sur l'espace imaginaire commun. Or, pour que l'on puisse parler d'espace imaginaire commun, il faut d'une part que chacun mette à jour ses représentations pour prendre en compte les paroles des autres en fonction de leur crédibilité et d'autre part que les représentations qu'ont les différents joueurs soient suffisamment homogène. C'est pour cette seconde condition que les illustrations ont un rôle intéressant. Comme nous l'avons décrit dans les représentations mentales dans les JDR, les dessins sont des points de références qui font converger les représentations des joueurs pour homogénéiser l'espace imaginaire commun.
Si un MJ tente de décrire oralement un pourfendeur de trolls à un joueur qui n'en a jamais vu, cela risque d'être assez fastidieux et peu efficace. Le joueur pourrais même trouver ce personnage rigolo („il a une grande crête orange, des runes peintes sur le crâne et sur le torse, il est très musclé et porte un calçon blanc...“). Là où la description verbale serait compliquée et inefficace, ouvrir le livre de base pour montrer un exemple dessiné serait particulièrement pertinent. Dans cet exemple, le joueur verrait très rapidement que les pourfendeurs de trolls ne sont pas „rigolos“.
En fait, c'est tout simplement une question de format. Nous parlons ici de visualisation d'éléments visuels (un lieu, un personnage). En le décrivant verbalement, on oblige le joueur a faire une interprétation puis une traduction des éléments verbaux pour construire son image mentale et c'est à ce stade que chacun construit les choses un peu à sa manière. En revanche, celui à qui nous présentons directement une image n'a rien à interpréter ni à traduire, l'image qu'il est supposé se faire est devant lui.
Nous appelleront ces images "illustrations dynamiques" pour les distinguer d'une autre catégorie "les illustrations génériques". 
Dans le second cas, on parle d'illustrations donnant une idée de quelque chose comme les archétypes des différents clans/tribus/familles ou d'un concept, par exemple la rage, ou encore d'un point de règle (la métamorphose des lycans, voir image ci-dessous). 

les cinq formes du loup-garou
Extrait de "Loup-Garou : l'Apocalypse"

Ces illustrations ne présentent pas un personnage en général et ne sont pas nécessairement un support 100% imposé pour les joueurs et le MJ, elle donne simplement une idée, souvent proche du stéréotype, et aide à comprendre. Disséminées dans les compléments, elles servent au lecteur à comprendre et à mémoriser toutes les informations. Dans ce but les images peuvent être associées à une idée musicale. Par exemple, dans le livre de règles de Loup-Garou L'Apocalypse, le paragraphe expliquant le fonctionnement de la rage est illustrée par l'image ci-dessous.

Extrait de "Loup-Garou : l'Apocalypse"

On voit toute la violence que dégage un combat entre un garou et un vampire probablement tous les deux en frénésie, conséquence directe du score de rage. Le paragraphe de description du concept de rage et les règles qui en découlent s'accompagne également d'un extrait du texte d'une chanson de punk-rock (plutôt très péchu !)
Extrait de "Loup-Garou : l'Apocalypse"

Les illustrations génériques et autres médias (la musique) apparaissent ici quasiment comme des supports pédagogiques.

Les illustrations dites "dynamiques" ou "ponctuelles", elles, en revanche sont utilisées pour donner une représentation aux joueurs (ou au MJ) à un instant T. Les PJs rencontrent un personnage et pan! le MJ donne l'image du PNJ. Les PJs mènent un assaut et pan! le MJ dessine un plan ou montre une photo ([le MJ] voilà où vous êtes [photo d'une vallée] où vous placez vous ? [le joueur demande] C'est quoi ce point là ? [le MJ répond] d'où tu es tu ne vois que ce que je montre, pour préciser il faudra que ton personnage se déplace. A propos de cette image je ne dis rien, tout est devant vos yeux.).

Dans le cas des images "génériques", leur vocation n'est pas de donner une représentation forcément cohérente et directement intégrable dans le scénario pour les joueurs (trop brut de décoffrage) mais bien d'inspirer et d'aider à comprendre quelque chose rapidement. Les autres en revanche, sont de véritables outils de communication et de vrais supports pour l'imagination commune.


Fonction restrictive

Extrait de "Changeling : the Lost"
Enfin, les dessins ont une fonction restrictives sur l'imaginaire. Par exemple, lorsqu'un personnage est dessiné, il le sera dans une situation ou posture donné, ce qui donnera en fait une facette du personnage mais sera pourtant compris comme le personnage dans sa globalité. Ainsi, un personnage en posture de combat sur un dessin va plutôt être interprété comme étant un combattant alors qu'un personnage lisant un livre sera pris pour intellectuel. Pourtant, il est connu que parfois des combattants puissent lire des livres. Il semble que nous partions du principe implicite selon lequel l'illustration d'un personnage doit être représentative de la globalité du personnage. On devrait être capable en regardant le dessin d'apprendre un maximum de choses sur lui. On retrouve le même phénomène lorsque le dessin illustre un archétype de personnage. Nous avons déjà abordé cet aspect dans les stéréotypes dans le background de white wolf, un dessin qui illustre un archétype (dessin de type générique donc) a tendance à donner une importance considérable aux aspects soulignés par le dessin au détriment des autres aspects de cet archétype.

brujha
Extrait de "Vampire : la Mascarade"






Par exemple, un futur joueur de vampire la mascarade se trouvant face à l'illustration du clan Brujah (voir ci-dessus) va sans doute penser qu'un personnage de ce clan est nécessairement une grosse brute. Le dessin est très efficace de ce point de vue, le personnage est menaçant, exagérément musclé et puissamment armé. Pourtant, lorsqu'on lit le descriptif, on s'aperçoit que parmi les Brujah, nombreux sont les intellectuels idéologues mais cet aspect risque fort d'être sous représenté.


Extrait de "Changeling : the Lost"
Nous l'avons vu, les dessins dans les livres de JDR sont un vrai plus tant pour l'immersion dans le background, que l'apprentissage du système ou la mémorisation de toutes les données qui constituent l'univers fictif. La fonction restrictive des dessins peut-être contournée en faisant justement plus de dessins. White Wolf l'a fait dans les livres de clans en proposant dans ces compléments plusieurs (de mémoire je dirais 5 ou 6) archétypes différents pour un clan donné, chacun accompagné d'un dessin. On retrouve alors de manière plus claire la variabilité du clan Brujah par exemple. Dans la même logique, dans Changeling the lost pour les illustrations des personnages des différentes cours (liées au saisons) et des kiths, les auteurs ont choisis de dessiner directement plusieurs personnages différents (le dessin ci-contre illustre les Darkling), ce qui permet 
de prendre les fonctions positives des illustrations sans en prendre le défaut.

Sylvain & Nicolas

1 commentaires:

J'aime beaucoup l'analyse de la fonction restrictive. J'aurais presque envie d'écrire à côté du guerrier en train de se battre "Ceci n'est pas un perso."
Je constate par contre au vu des exemples donnés qu'une même image, ou série d'images, voire même de templates graphiques, peut donner des interprétations très différentes.
Précisons : j'avais gardé une image hyper stéréotypée de WarhammerV1, avec des dessins de preux paladins en armure ailée et de montagnes de muscles, jusqu'à la feuille de perso qui imposait à mes joueuses un dessin de l'incroyable Hulk, là ou Warhammer V2 donnait pour chaque carrière un dessin très réaliste de personnages pris dans un quotidien médiéval/renaissant très contrasté.
Il faut croire donc que - contre toute attente - la fonction descriptive peut subir un très fort biais.

MJ

 
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